De l'intérêt d'aller voir La Zone d'intérêt

Après être passé à l’Étrange Festival où je l'avais raté, The Zone of interest est la sensation expérimentalo-zarbi du moment. Alors... Bon... ? Pas bon ? ... Vous le saurez en lisant la suite, juste là, oui, plus bas.


Tout commence par un écran fixe. Le ton est donné. Un peu rougeoyant sur les bords, avec une musique dérangeante, le réalisateur annonce la couleur : four crématoire.

Déjà, on sent le public mal à l'aise. Il tournicote sur son fauteuil. Mon voisin qui ne sait pas ce qu'il va voir se plaint à sa voisine. C'est quoi ce film ? Pourquoi cet écran sombre et purpurin ? Et oui, mec, t'es piégé, faudra me passer devant pour sortir. Je te plaindrai presque, mon petit voisin inconnu que ton amie a ramené sans même te pitcher quoi que ce soit.


Maintenant le film va poursuivre son œuvre en te mettant face à LA DÉRANGEANCE.


S'ensuit une scène champêtre (ne vous inquiétez pas, après je ne spoilerai plus rien), où une charmante famille va se baigner dans une rivière au milieu de la nature. Ce sont eux, les personnages principaux, dans des ablutions de fin de semaine qui s'éclaboussent joyeusement, profitant du beau temps et de ce petit paradis... pour eux.


Le film se construit donc sur une série de contrastes. Contrastes entre le premier et l'arrière plan. Entre le quotidien banal d'un couple bourgeois qui semble bien installé, gentil avec ses enfants, et la réalité historique.

A l'image du premier écran, on ne verra rien. Mais on sait. On sait que cette famille vit en bordure d'Auschwitz, en quasi toute insouciance. On sait qu'une partie de leurs employés sont des prisonniers. On sait.

Mais eux aussi savent. Ce savoir est opposé à la nature, au joli jardin, à un bébé, à un chien qui eux vivent en toute innocence. Et c'est cette connaissance de l'horreur qu'on devine, qui est ébauchée, qui donne toute la force à ce film. Le spectateur ne rentre jamais vraiment dans Auschwitz, car le film est centré sur la famille. Mais il attend, il entend et il sent le camp, il devine dans les postures et le malaise de certains personnages.

Le contraste fait deviner, il est provoqué par de nombreux procédés, en lien avec la musique, la couleur et les réactions des acteurs, à la fois fines et d'un impact inouï.

Il prend forme d'une façon plus tangible lors des scènes ou la petite fille du couple va cacher de la nourriture en bordure du camp, dans une scène en négatif. A cet endroit où les juifs eux mêmes vont creuser la fosse. Cherche-t-elle à nourrir les affamés ? Fait-elle des offrantes aux morts ? Les pommes symbolisent-elle le savoir, la connaissance de l'horreur ? En tout cas ses parents ne parviennent pas à l'en empêcher. Si on pensait que le génocide pouvait être ignoré, le réalisateur nous montre que tous, y compris les enfants, sont au courant.

Ce tour de force est impressionnant dans la mesure ou le spectateur est mis face à lui -même et est obligé d'analyser de collecter des indices et à réfléchir à ce qui lui arrive.

Il est mis dans une posture de dissonance cognitive mais obligé à la voir car il voudra s'expliquer à lui-même son propre malaise.

Ce film m'a évoqué, durant le visionnage, la façon dont on traite les animaux, les ouvriers textiles qui fabriquent nos vêtements, la crise climatique. Car la famille nazie et leur crise personnelle peut être vue comme le reflet de notre propre capacité à s'aveugler, à vivre avec ce qui nous horrifie, à cautionner, à participer à l'horreur, tout cela à travers cette abominable comparaison avec ceux qui ont porté le génocide tout en plantant des lilas.

Il touche, il secoue, il fait regarder comme il nous fait nous regarder.

Et ça, c'est très très fort.


Armie
8
Écrit par

Créée

le 1 févr. 2024

Critique lue 32 fois

Armie

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