On était sans nouvelle de Jonathan Glazer depuis presque dix ans quand son nouveau film a enfin été annoncé. Après avoir été acclimaté (croyait-on) au climat angoissant de Birth et à l'expérience autre de Under the Skin, la question était de savoir si Glazer allait garder la maîtrise d'un récit bien plus sensible puisque basé sur un fait historique abominable (la vie familiale du commandant SS Rudolf Höss alors que le foyer jouxte le camp d’Auschwitz). Dans un style clinique encore plus poussé que par le passé, le metteur en scène dépeint l'innommable d'une manière assez provocatrice.


Plans fixes, travellings latéraux et panotages, tout est réglé au millimètre. La relative fixité des objectifs renvoient à celle d'une caméra de surveillance, la netteté du numérique (et quelques séquences en images thermiques) confère aux images une sorte d'hyperréalité qui nous arrache à la pensée rassurante d'un temps révolu. Cela donne paradoxalement une grande force picturale, car l'arrière-plan horrifique ne se contente pas de rester justement au lointain. La vision de bâtiments en briques surplombant la pittoresque maison Hoss, la fumée d'un train sillonnant le mur du jardin ou celle d'une cheminée dans la nuit. Il y aussi les sons : les cris, les tirs. Ils font partie intégrante du quotidien et participent à cette tension sous-jacente et continue. L'opposition avec la maison proprette, le jardin paradisiaque et l'opulence de cette famille rend l'ignominie encore plus insupportable. Avec ce procédé filmique, Glazer se met (et nous avec) à distance de l'effroyable mais révèle celle de ses protagonistes en plein jour. Par dessus tout, c'est l'indifférence de cette famille qui choque. Uniquement tournée vers son confort de vie ou l' "opportunité" financière et politique de cette machine de mort lancée à plein régime à côté de leur maison, cette inhumanité révolte par sa banalité. Je trouve malgré tout une limite à La Zone d'intérêt dans un effet de redondance (peut-être désiré) qui interroge parfois sur les intentions ou la nécessité d'étirer le film quand l'idée et l'application ont donné leurs fruits avant cet épilogue.

ConFuCkamuS
7
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le 5 févr. 2024

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ConFuCkamuS

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