Le fantastique c'est souvent l’incongruité et l'étrange qui arrive dans le quotidien et le réalisateur islandais Valdimar Johannsson nous en offre un très belle exemple avec son film Lamb terriblement bien ancré dans le réel.


Lamb nous raconte l'histoire d'un couple d'éleveurs qui vivent dans un petite ferme isolée au sein d'une vallée enclavée entre les montagnes . Un jour ils aident une brebis à mettre bas d'un agneau avec une étrange malformation. Le couple décide de garder la bête et de l'élever comme leur enfant.


Construit en trois actes, Lamb débute par un récit froid, austère et ascétique propre à décourager celles et ceux qui seraient venus voir un divertissement facile. Le couple au centre du récit semble évoluer dans un rituel rythmé continuellement par la monotonie du travail au sein d'une nature aussi magnifique que vide et rigoureuse. Cette première partie n'est pas muette à proprement parler mais tout semble n'être que silence et non dit au sein de ce couple que l'on devine aimant par habitude plus que par passion. Ce premier acte installe d'emblée un étrange climat comme une vie engourdie, une photo de mariage oublié dans la fermeté rigide d'un tiroir de congélateur. Cette première partie ménage ses effets, impose son tempo et ne révélera le merveilleux ou le grotesque selon comment vous recevrez la scène que lors de son final surprenant. Lors du second acte la singularité à définitivement fait son entrée dans le film et la vie des deux personnages mais aussi le regard même des spectateurs. Le couple est rejoint pour l'occasion par un troisième protagoniste (le frère du mari) montrant une forme d'ouverture vers les autres, une sortie d'autarcie, une renaissance au monde,un semblant espoir. Ce troisième personnage épouse presque le regard externe et distancée du spectateur avec ses doutes, son étonnement et son recul contrairement à ce couple vivant comme confiné dans sa propre logique dictée par la réminiscence d'un profond désespoir traumatique. Le final de ce second acte sera riche en tension dramatique lorsque le personnage hésitera de la plus radicale des manières entre rétablir brutalement la normalité et se fondre dans le cocon du merveilleux. Lors d'un troisième acte presque bruyant par rapport au tout premier, un semblant de joie et de normalité semble être revenu au sein de cette étrange et singulière famille, atypique mais pleinement heureuse. Si c'est l'apparition d'un élément fantastique qui sera parvenu à extirper ce couple d'un enlisement psychologique dépressionnaire, c'est également un élément fantastique qui viendra les replonger avec une radicale brutalité dans la réalité toute relative des choses. Le film presque entièrement construit sur le désir profond et presque irrationnelle de descendance, de paternité et de maternité s’achèvera dans une spirale inexorablement sombre faites de sang et de larmes. Dans un forme de logique imparable, cette tragédie fantastique en trois actes ne fera que montrer des parents courant désespérément après un enfant disparu.


Lamb est un très joli film fantastique à la fois sombre, triste et angoissant. Valdimar Johannsson conduit son récit en forme de fable inexorable sans céder à la moindre concession souvent inhérente au cinéma de genre, la plus belle illustration étant peut être la scène montrant Maria se réveillant d'un cauchemar tout en douceur là ou le cinéma de genre à imposer le réveil en sursaut depuis de centaines de films. Forcément Lamb pourra sembler froid, lent et austère pour nombre de spectateurs mais pour celles et ceux qui feront l'effort de s'engourdir dans la rigueur nordique de ce conte cruel, ils pourraient bien finir le cœur ankylosé et le regard humide. Le film est porté par de formidables interprètes avec dans le rôle de Ingvar le comédien Hilmir Snaer Guonason et surtout Noomi Rapace qui retrouve ici avec le rôle de Maria un personnage d'une apparente dureté et d'une profonde sensibilité, bien loin en tout cas de la figure de séries B dans lesquelles j'ai cru un temps la voir perdue.


Lamb est définitivement un très beau film pour peu que l'on soit capable d'accepter la simplicité contemplative d'une virée sans retour dans la grisâtre mélancolie du cœur en hiver d'une mère en peine.

freddyK
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le 15 sept. 2022

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