Ultime volet d'une trilogie habitée par la mort Last Days de Gus Van Sant suit donc les derniers jours de Blake, artiste déchu en partance pour un éventuel nirvana... Comme dans Gerry et Elephant le cinéaste pose sa caméra à hauteur de son sujet, sans jamais juger ses personnages, préférant les sublimer : empathique et respectueux le regard de Gus Van Sant apporte une vision fascinante et singulière sur les derniers instants de cette star du grunge incarnée magistralement par Michael Pitt ; l'hommage à Kurt Cobain, pleinement assumé par le réalisateur, est également prétexte à saisir des gestes, des marmonnements, quelques riffs improvisés dans un espace-temps volontairement éclaté, à travers lequel le spectateur s'égare sans jamais perdre de vue ledit Blake. Dans une sophistication visuelle et sonore particulièrement grisante le réalisateur évoque les derniers jours de Kurt Cobain à la manière d'un vinyle usé à force de repassages, comme une figure hors la vie traînant ses guêtres de pièce en pièce, perdue dans l'immensité d'un squat de luxe... et c'est magnifique.
Il est question de musique dans ce terrible Last Days, de création artistique et de communication. Si Blake ne s'exprime que très rarement par la parole, baragouinant dans sa barbe tout en poursuivant son errance il semble pourtant plein de ressources artistiques, capable d'orchestrer à lui seul deux compositions filmées intégralement en plan-séquence : énergie du désespoir, rage éraillée, expression d'un mal-être... La bande originale de Last Days est un monument, conjuguée à un paysage sonore des plus aboutis et des plus séduisants. La séquence dans laquelle le personnage de Scott écoute le disque du Velvet Underground pour une orgie proche de l'abstraction, se voit intelligemment recomposée par Van Sant sur un point de vue alternatif : un cinéma qui est ici affaire de césure, de fêlure, de morcellement. Blake, entre deux mondes, déambule comme un mortel en voie de renaissance dans son imprenable manoir vétuste. Sa vision altérée de la réalité est parfaitement retranscrite par un montage savamment déstructuré, une temporalité insaisissable.
L'oeuvre, peuplée d'acoustique et d'humidité printanière, se voit à nouveau mise en lumière par le grand Harris Savides, déjà auteur des splendides photographies de Gerry et de Elephant : des images hypnotiques qui rincent littéralement la rétine, caressant les corps et les visages de cette poignée d'icônes végétant dans une bulle mortifère, Blake en tête. Il faut voir Last Days comme un lent et beau poème cinématographique, comme une oraison musicale rendant gloire à Kurt Cobain tout en s'en démarquant de manière très originale. Un grand film.