On comparera un peu vite Last Days Of Summer à Sur La Route De Madison, laissant entendre qu’il pourrait n’être qu’un plagiat d’un ainé érigé en chef-d’œuvre, ce qu’il est effectivement. Je veux croire qu’ici nous avons plus affaire à un film qui serait l’héritier d’un genre créé par Clint Eastwood, appelons ça le « film d’histoire d’amour improbable et très courte », puisqu’elle ne dure que cinq jours. Pourtant, Jason Reitman, même s’il respecte les codes de ce nouveau « genre » cinématographique, signe une œuvre plus âpre, plus tendue et beaucoup moins idyllique que celle de son illustre aîné.

Frank, prisonnier de son état, s’est échappé de l’hôpital où il se remettait d’une opération de l’appendicite. Dans sa fuite, il croise le chemin de Henry, jeune garçon d’une étonnante maturité et fils d’Adele, femme torturée par la solitude et la perte de l’Amour qu’a constitué le départ de son mari du domicile familiale. Frank s’installe, de force puis de gré, chez Adele et Frank, tout d’abord pour une durée très brève puis, les circonstances et l’ouverture de chacun aux autres aidant, pour les quelques jours de cette fin d’été. Des jours parsemés d’instant de bonheurs simples, tels la création d’une tourte aux pêches destinée à entrer dans la légende. Alors se créé et s’organise une vie de famille. Un amour beau, sincère et plein d’une sensibilité lucide s’installe entre Henry et Adele, chacun comprenant que derrière les apparences de l’autre, se cache une vérité belle à découvrir.

Même s'il avance en terrain connu, l'oeuvre de Jason Reitman est remplie de forces qui livrent un film marquant, sans cesse sur le fil et mêlant sans faux-col une superbe histoire d’amour à une intrigue policière pleine de suspens. Suspens soutenu par une bande originale organique et stressante, mais qui n’oublie pas d’appuyer les moments de tendresse d’une manière qui là, rappelle fortement le travail d’Eastwood. Jason Reitman se permet pourtant d’imprimer une certaine lenteur à son histoire, privilégiant une mise en scène sans nervosité excessive, filmant une nature omniprésente, sorte de refuge pour Adele qui craint tant le monde des hommes, après le drame familial qu’elle a vécu. Car l’histoire est celle de deux drames personnels qui se croisent, ceux d’Adele et de Henry, et qui pourtant ne sombrent jamais dans le grotesque, car eux-mêmes ne le deviennent jamais. Jason Reitman sait en effet garder une certaine distance avec ces deux histoires, les aborder avec retenue tout en gardant une certaine empathie, même si les mères seront probablement les plus touchées.

Malgré toutes les qualités du monde, ce film perdrait beaucoup sans ses trois acteurs en état de grâce, tous formant un noyau atomique de comédiens en fusion. Gattlin Griffith dans le rôle d’Henry est surprenant en jeune garçon capable de laisser paraître beaucoup sans se sentir contraint de grimacer tel un Macaulay Culkin disparu des affiches de cinéma. Encore au-dessus, il y a Kate Winslet et Josh Brolin, parfaits de justesse et auxquels Jason Reitman a l’intelligence d’épargner les baisers langoureux et les scènes déshabillées qui, dans le fond, ne servent qu’à tirer le chaland. De son côté, Josh Brolin, que j’apprends à aimer peu à peu, est une authentique gueule de cinéma, regard dur mais complexe, mâchoire proéminente mais pleine de douceur, il a quelque chose d’un Pierce Brosnan, avec beaucoup de talent en plus. La meilleure pour la fin, Kate Winslet, pour laquelle je n’avais pas compris la remise d’un César d’Honneur, coincé que j’étais encore dans l’effet Titanic. Elle m’a bouleversé de talent et de justesse, menant à la perfection la transfiguration de son personnage, d’abord absolument autiste au monde extérieur et qui fini par s’ouvrir au sentiment amoureux dont elle se pensait exclue pour l’éternité. Même si elle perd le côté glamour de son rôle de Rose DeWitt Bukater-Dawson, elle garde une beauté abstraite qui transcende son jeu à chaque film. Mais oserai-je dire ici que l’effet Titanic n’est pas tout à fait estompé ? Rêveur que je continue d’être à chaque fois que cette actrice se laisse aller au décolleté pigeonnant…

Je n’oublierai pas la puissance de ce film, une puissance qui a la délicatesse de ne pas étaler ses muscles et sa frime, mais qui réside dans la suggestivité de cette histoire d’amour. Ce film n’est ni une romance ni une bluette, mais la guérison miraculeuse de deux êtres rendus affectivement malades par un drame personnel finalement banal, mais qui reste d’une violence personnelle inouïe. Deux êtres qui avaient renoncé à la moindre parcelle d’un bonheur simple au motif qu’ils étaient convaincus d’avoir fauté et de devoir expier, quand l’âpreté d’un drame est rattrapée par la sincérité d’une histoire d’amour.
Jambalaya
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le 23 avr. 2014

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