Je me gardais « le beau monde » de côté pour une soirée de fébrilité émotionnelle. Je m’attendais à une pluie de bons sentiments, à faire vibrer la corde de la révolte contre l’injustice sociale, pour m’endormir bercée pour un conte niaiso-romantique de plus. C’est un peu ça mais c’est pas si nul.
Là où ca prend, c’est dans les non dits du film. Les protagonistes n’explicitent jamais ce qui est en train de leur arriver, ça crée un énorme manque qui devient le moteur de notre attachement, de notre capacité à projeter. L’amour et la jalousie sont représentés, mais pas mis sous forme de mot. Donc pas définis et arrêtés. Ils peuvent inventer quelque chose. Ils sont parfaitement conscients de la différence sociale qu’il y a entre eux. Elle est clairement dans une logique d’ascenseur social par le double mouvement d’intégrer une école d’art, et celui de rejoindre la capitale. Lui veut déconstruire le chemin tout tracer qui est le sien et contester l’ordre social. Pour cela il s’intéressent aux pauvres, en les considérant, et en partageant - au moins avec elle - une part de ses privilèges. Mais forcément il est maladroit et reste agi par ses préjugés. Si il a des choses à lui apprendre, il est aussi fasciné par sa capacité à s’en sortir par elle-même, à défier le déterminisme social, à découvrir l’art, la beauté, les codes mondains sans se soucier d’où est sa place. En l’aidant, il se donne le beau rôle, se rassure lui-même. Ainsi de la caricature d’une rencontre amoureuse entre le prince et la souillon, on passe à une réflexion sur l’art, les bourgeois, l’élitisme culturel, le savoir comme marqueur de différence sociale. Oui bien sûr ça ne remplace pas une bonne analyse sociologique mais ça permet d’incarner la posture délicate de celui qui sait, qu’il sait, et que son savoir lui permet de dominer. La possibilité d’un amour trans-classe peut bien être le début d’une capacité de révolte, mais le caractère exceptionnel de la trajectoire peut aussi servir à maintenir le mythe du « quand on veut on peut ». Cette histoire là ne permet pas de trancher ces questions. Elle montre l’amour sous un jour douloureux, ambiguë, où la fascination, la jalousie et le reflet de soi qu’on cherche dans le regard de l’autre, jouent un rôle de premier plan. Elle permet de lier la douleur amoureuse à la capacité de création et de transformation de soi. Dans ce film, le couple n’est pas l’horizon absolu de l’amour, au contraire, il explore bien d’autres aspects des sentiments, et c’est un choix heureux.

allule
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le 24 oct. 2016

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