Charles Lepicard,proxénète à la retraite,Eric Masson,vendeur de voitures,et Lucas Malvoisin,notaire marron,forment un trio de parisiens malhonnêtes projetant de se lancer dans la fabrication de fausse monnaie en utilisant les talents de Robert Mideau,un graveur hors-pair dont la femme Solange est la maîtresse de Masson.Comme ils ont besoin d'un pro pour fourguer la marchandise,Charles enrôle dans l'opération Ferdinand Maréchal,dit le Dabe,un spécialiste de la question qui est un vieil ami retiré en Amérique du Sud.Mais comme toujours dans le Milieu,chacun va vouloir doubler les autres et ça ne va pas bien se passer."Le cave" est un de ces vieux polars à la française réunissant la fameuse bande des Grangier,Gabin,Audiard,Simonin et Blier.Gilles Grangier réalise et cosigne le scénario de cette coprod franco-italienne avec Michel Audiard et Albert Simonin,Audiard rédigeant en plus les dialogues,le tout adaptant un roman de Simonin.Une adaptation très libre d'ailleurs puisque le bouquin fait partie de la trilogie "Max le menteur",que Gabin incarnait sept ans plus tôt dans "Touchez pas au grisbi",alors que le personnage n'apparait pas ici,même si on peut considérer que le Dabe est son équivalent.La mise en scène de Grangier,solide artisan,est très propre et peut s'appuyer sur un beau noir et blanc classique de Louis Page,de formidables décors signés Jacques Colombier et Olivier Girard,ah ces chambres "thématiques" du clandé de Lepicard!,et une excellente musique du chanteur Francis Lemarque et de Michel Legrand.Pour l'anecdote,signalons qu'un des assistants de Grangier est Paul Feyder,le fils du grand Jacques Feyder,dont la mère Françoise Rosay joue dans le film.Le scénario tire franchement vers la comédie,laissant libre cours aux extraordinaires dialogues de Michel Audiard,dont la faconde soutient magnifiquement une histoire qui sans cela revêtirait un intérêt moindre.Du reste,après une très bonne première partie,ça part un peu dans la confusion et on ne comprend plus grand-chose à ces embrouilles à base de fausse monnaie,d'horaires et de trahisons diverses,même si on voit venir de loin les évènements dans leur globalité et qu'on devine facilement qui va baiser qui.C'est un des problèmes du script qui a parfois du mal à trouver l'équilibre entre humour débridé et récit policier,avec des dupes dont la bêtise dépasse la mesure et qu'on entôle trop facilement.Heureusement les répliques d'Audiard claquent et font mouche à tout coup,surfant joyeusement sur le picaresque,le folklore de la voyoucratie et l'argot de Paname et de la pègre.Impossible de ne pas dévoiler quelques échantillons de ces délires verbaux:Charles parle de Masson:"parce que j'aime autant vous dire que pour moi monsieur Eric,avec ses costards tissés en Ecosse à Roubaix,ses boutons de manchettes en simili et ses pompes à l'italienne fabriquées à Grenoble,eh ben c'est rien qu'un demi-sel.Et là je parle juste question présentation,parce que si je voulais me lancer dans la psychanalyse,j'ajouterais que c'est le roi des cons.".Conversation entre Charles et Ferdinand:"en admettant qu'on soye cinq sur l'affaire,ça rapporterait net combien à chacun?" "Vingt ans de placard!Les bénéfices ça se divise,la réclusion ça s'additionne!".Réflexion de Léa,l'épouse de Charles:"dire qu'il suffit de mettre un gigot au feu pour voir s'amener les emmerdeurs!".Ferdinand à Charles:"je connais ton honnêteté mais je connais aussi mes classiques.Depuis Adam se laissant enlever une côte jusqu'à Napoléon attendant Grouchy,toutes les grandes affaires qui ont foiré étaient basées sur la confiance!".Discussion entre Pauline et le Dabe à propos d'Eric:"à quoi je le reconnaîtrais?" "Un beau brun avec des petites bacchantes,grand,l'air con!" "ça court les rues,les grands cons!" "ouais,mais celui-là c'est un gabarit exceptionnel!Si la connerie se mesurait,il servirait de mètre étalon,il serait à Sèvres!".Un peu plus tard,Eric et Pauline se rencontrent:"c'est marrant que vous m'ayez reconnu tout de suite!" "on m'avait fait un portait parlé,je pouvais pas me tromper!".Naturellement,il faut pour porter de tels textes des acteurs top niveau,et on est servi avec l'impérial Jean Gabin,à l'autorité magistrale en truand blanchi sous le harnois au bagout infernal,son pote Bernard Blier,absolument savoureux en commanditaire se croyant malin qui se fait pigeonner dans les grandes largeurs,Franck Villard qui crève l'écran en incarnant dans un total premier degré un séducteur aussi imbécile que sûr de lui,ou un Antoine Balpétré légèrement en retrait en notaire magouilleur.Le début de la chanson de Sardou "Le cinéma d'Audiard" fait directement référence au personnage de Villard en ces termes:"C'est un Paris couleur Paname,un Paris de l'avenue du Maine,où les voyous des bords de Marne roulent en voiture américaine".Maurice Biraud est Mideau,le brave type naïf et cocu que les autres croient contrôler et escroquer,mais qui va grâce au Dabe inverser la vapeur.On a aussi un bel aréopage de personnages féminins avec Ginette Leclerc en épouse trompée de Blier,une ex tenancière de bordel qui râle mais est au fond résignée,bien loin de la femme du boulanger qu'elle interprétait chez Pagnol.Martine Carol,qui fut "Caroline chérie",a de bien beaux restes en épouse infidèle et stupide,et sa scène en petite tenue vaut le coup d'oeil.Françoise Rosay est madame Pauline, la vieille complice de Gabin, et se révèle parfaite en trafiquante gouailleuse.Dans des petits rôles on repère Robert Dalban et Jacques Marin qui forment un drôlatique duo d'inspecteurs de la Mondaine,Albert Michel en facteur,Hélène Dieudonné en concierge épieuse et délatrice,et la jolie Clara Gansard en bonne des Lepicard.Note et critique de film de Gilles Grangier publiées précédemment:"La cuisine au beurre"-4.Moyenne:5,5.