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Voilà un film qui joue clairement la carte de l'émotion et de l'extrême empathie, dans le sens où le spectateur est quasimemnt forcé à vivre physiquement l'expérience qu'il regarde. Toute la mise en scène évolue de façon à créer ce phénomène : les mouvements de caméra, les gros plans sur les visages, les zooms brusques et soudains, une certaine dynamique générale qui nous fait entrer dans l'image ou qui nous place à côté des corps, qui nous fait ressentir leurs poids, leurs contours, malheureusement leur extrême fragilité. Je n'ai pas le vocabulaire adapté pour décrire par exemple cette distorsion de l'image produite au moment des enlacements entre protagonistes, qui déforme les bras comme à travers une lentille, comme si nous-même nous les enlacions aussi. Promiscuité extrême, empathie obligée, description horrible d'une situation horrible, au point où cela m'a paru parfois exagéré. J'en veux pour exemple la scène très intéressante (d'un point de vue technique mais aussi émotionnel) du crash en lui-même. Là, la puissance dévastatrice de l'évènement y est admirablement rendue, plus vraie que nature, voire plus horrible que nature puisque nous vivons tout en même temps dans une multiplication rapide des points de vue, comme si, tout en conservant un point de vue d'ensemble, nous étions aussi dans la peau de chacun des personnages, filmés de près ; ainsi, nous entendons distinctement chaque "crac" des os broyés de façon uniforme, comme s'il n'y avait pas de différences d'espace entre eux, comme si chaque cassure était la nôtre, toute proche de notre oreille. En cela, la mise en scène accentue autant qu'elle le peut une réalité difficile au point qu'elle en devient une sorte de réalité augmentée de l'horreur. En toute honnêteté et sans remettre en cause le travail derrière cette scène ni complètement son parti pris, cela me semble proprement spectaculaire et presque pornographique. Je me questionne donc sur ce que signifie le cinéma, ce que signifie l'empathie et les notions de subjectivité, d'objectivité. Une telle scène soulève de telles questions. De quelle façon rendre au plus juste la réalité, si c'est seulement la bonne question à se poser ? Ce qui est sûr, c'est qu'au moment du visionnage le choc est trop fort pour être analysé ou pour qu'il soit question de prendre le moindre recul sur l'expérience. Mais ce n'est que le début du film et seulement le début de l'horreur lorsqu'elle semble déjà à son paroxysme. La suite de l'agonie au sein de l'hostilité d'une nature glaciale et stérile se déroule plus lentement (sans doute à l'image de l'expérience réelle), lentement mais sans susciter d'ennui, de manière maitrisée. Le suspense activé ici me semble cependant en partie questionnable, car il repose principalement sur l'interrogation implicite suivante : quand est-ce que le personnage préféré de la caméra (Numa), va-t-il enfin manger de la chair humaine, et renoncer ainsi à ses principes moraux pour privilégier sa survie ? J'ai trouvé cela vraiment plus appuyé que nécessaire. Je ne sais pas comment cela s'est passé en détails, mais dans mes souvenirs de la tragédie je n'avais pas compris qu'un des survivants avait hésité aussi longtemps, peut-être que oui mais il me semble malgré tout que le film ait amplifié sa détermination de ne pas consommer de chair humaine uniquement pour l'aspect dramatique. Peut-être aussi que ma subjectivité entre en jeu là-dedans, étant donné que pour moi il n'y a aucun débat à avoir sur ce sujet, aucun dilemme moral, n'étant absolument pas croyante. Ensuite, j'ai été frappée par ce froid terrible, cette neige tyrannique, par la beauté affreuse et inhumaine de la cordillère. Les nuits de tempêtes sont rendues viscéralement atroces. Je trouve que c'est le gros point fort du film, nous faire ressentir l'horreur du froid et des nuits qui ne finissent jamais, l'attente désespérée de l'aube. Un autre point fort est bien évidemment la proximité choisie pour un personnage qui ne survivra pas... Oui, c'est très fort. En résumé, c'est un bon film si on ne se laisse pas rebuter par son aspect outrancier.

floralion
7
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le 12 janv. 2024

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floralion

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