Karel Cernik (Fredric March) est patron de cirque, dans la Tchécoslovaquie communiste de 1952 (le film date de 1953). Une activité mal vue des autorités qui le surveillent et tentent de le décourager. Appréhendé sans raison particulière, il se voit sommé par deux commissaires du peuple (au poste de police), eux-mêmes surveillés par un représentant du Ministère de la Propagande, de s’expliquer sur ses déplacements et sur les origines de ses employés. Sur la sellette, la duchesse (Dorothea Wieck) qui affiche une sympathie pour la France en brandissant le drapeau tricolore quand ça lui chante. En réalité, cette femme fut l’épouse d’un duc français et elle fait plus ou moins partie des meubles pour le cirque.


Le personnel compte un dompteur au charme certain (Alexandre d’Arcy), qui s’acharne à préparer un numéro avec des lions apathiques. Cernik vit avec Zama (très séduisante Gloria Grahame), sa femme qui n’a plus que très peu d’estime pour lui, vu qu’il ne réagit pas à ses infidélités (réelles ou fantasmées) auprès du dompteur. Sa fille, Tereza (Terry Moore) prépare également un numéro équestre, en flirtant gentiment avec un nouveau venu au passé incertain, Joe Vosdek (Cameron Mitchell). Le cirque compte également un nain et quelques autres personnes. Cernik joue les clowns, ce qui convient parfaitement à sa mentalité.


Interrogé, il se dit homme de cirque avant tout. Sa justification pour affirmer que la politique ne l’intéresse pas plus que ça. Malheureusement, c’est la politique qui s’intéresse à lui (affaire familiale à l’origine, le cirque appartient désormais à L’État). On lui reproche sans doute une trop grande liberté, son indépendance d’esprit. L’État cherche à tout contrôler. Observer Cernik aller et venir où bon lui semble, présenter des numéros préparés pour plaire au public (les essais destinés à suivre les recommandations officielles se sont soldés par un fiasco) et employer des hommes et des femmes aux origines diverses, cela déplait. Pour marquer le coup, on lui demande de se séparer de la duchesse. Bien forcé de donner son accord, Cernik gagne du temps. Ce temps lui sert à organiser un plan qu’il garde en tête depuis un bon moment : passer à l’ouest avec sa troupe !


Le film souffre à mon avis de deux défauts. D’abord, dans cette histoire où tout se passe en Tchécoslovaquie, tous les protagonistes s’expriment en anglais. Inconvénient mineur, car on retrouve cela dans d’autres films américains de l’époque. Plus gênant, le projet de Cernik passe longtemps pour une lubie vouée à la catastrophe. Le final montrera que l’apparente folie joue parfaitement son rôle, car si le spectateur n’y croit pas, les militaires chargés de la surveillance à la frontière laissent approcher la troupe sans méfiance. Cernik s’attend bien à certains sacrifices, mais il se trouve dans l’incapacité de tout prévoir. Ce qu’il accepte à l’avance, c’est de faire le sacrifice de l’essentiel du matériel, pas des hommes et des animaux. Cela nous vaut quelques scènes intéressantes, car le réalisateur connait son métier (Man on a tightrope est le neuvième long métrage d’Elia Kazan). Je pense en particulier à la confrontation entre Cernik et le directeur d’un cirque concurrent qui dégénère parce qu’ils se détestent cordialement. Je pense également à la confrontation entre Cernik et les femmes qui l’entourent. Zama, sa femme le méprise jusqu’au moment où il fait acte de violence, comme si elle attendait désespérément une marque de virilité. Quant à Tereza, sa fille, elle le défie en affichant son attirance pour un homme qu’il soupçonne de traitrise. En effet, la police politique surveille Cernik comme si elle était au courant de son projet de passage à l’ouest, côté américain de la frontière.


Ce film (noir et blanc, format 4/3, 1h45) n’a pas été distribué en France au moment de sa sortie. Probable raison, Elia Kazan trainait une sale réputation après avoir témoigné devant la commission des activités anti-américaines dirigée par le sénateur McCarthy. Si Man on a tightrope (scénario de Robert E. Sherwood, d’après un roman de Neil Paterson, lui-même inspiré d’un cas historique) reste mineur dans la filmographie d’Elia Kazan, il témoigne néanmoins de la personnalité de son réalisateur, notamment par le thème de la délation et de ses conséquences. Mais on retrouve également le désir ardent de vivre en toute liberté, ainsi que les rapports homme/femme où la fidélité et les rapports filiaux jouent des rôles fondamentaux dans les comportements des uns et des autres. La vie du cirque est montrée avec naturel, plusieurs personnages secondaires et figurants étant réellement artistes de cirque. Et Kazan sait à l’occasion se montrer lyrique dans une belle scène de baignade où la musique signée Franz Waxman intègre à bon escient un thème de La Moldau de Smetana.

Electron
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le 26 nov. 2016

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