Le coeur du guerrier par Pascoul Relléguic

Appâtant le spectateur par une jaquette DVD promettant de l'heroic fantasy cheapos, ce que confirme le début du film avec guerrier et guerrière bien peu vêtus, le film se permet rapidement un pas de côté sympa : ces aventures héroïques ne sont en fait qu'un jeu de rôle entre ados. Réorientation donc vers une ambiance de nerds en pleine montée hormonale, à même de remémorer les pires souvenirs malaisants de cette période de la vie. Une petite touche de sensualité assez prononcée (plan fouf frontal et matage de voisine ruisselante en plein préliminaire) rappelle qu'on est devant une production espagnole et non un produit aseptisé à l'américaine.

Et puis Le coeur du guerrier commence doucement à vriller, alors que notre jeune héros Ramon semble avoir de plus en plus de mal à se départir de son personnage de Beldar (hem), au point de commettre une agression au couteau sur un représentant politique ! En pleine interprétation pathologique d'un multivers unissant les réalités, il en vient à chercher les incarnations des protagonistes de son aventure rôlistique, et s'entiche ainsi d'une prostituée camée qu'il prend pour sa dulcinée. L'occasion de pas mal de scènes dérangeantes, dont celle où il la sauve d'un viol par un client, un moment vraiment trash qui ferait presque évoquer Gaspard Noé.

On a ainsi le sentiment d'assister à une transition psychotique qui affecte même Beldar dans son propre univers fantastique ! Le film prend donc un tour tragique et miséreux... sans pour autant quitter son côté comédie familiale (la police fait dans l'humour slapstick), voire ironique (le clip de campagne du député axé sur son combat pour la jeunesse est génial), avec des gros clins d’œil à Ghostbusters, et, cerise sur un gâteau décidément bien trop riche, l'ajout in extremis d'un complot politico-CAC 40 ! Le tout avec des musiques enjouées et vaillantes, même quand Ramon, en pleine errance délirante et proche de l'automutilation mortelle, est réduit à vivre avec un clochard nain destroy dans des égouts puants.

C'est peu dire que Le coeur du guerrier est un film déstabilisant, surtout quand on s'attendait à de l'héroic fantasy fauchée et calibrée. Mais la grande question qui hante l'esprit après sa découverte, c'est pourquoi ? Et surtout, pour qui ? A qui est destiné ce film ? On imagine l'enfer pour l'équipe marketing. Daniel Monzon, son réalisateur-scénariste, semble avoir balancé toutes ses idées dans un shaker, sans trop se soucier du public cible ni du propos exact de son oeuvre, celui-ci demeurant assez mystérieux. Je n'ai pas trouvé grande info sur le film, à part l'interprète de Ramon qui explique avoir reçu pour consigne de ne pas jouer la maladie mentale mais bien l'hypothèse fantastique. Une découverte intrigante, insuffisamment maitrisée pour être réussie, mais à recommander pour les aventuriers de l'étrange.