Le Conte de la princesse Kaguya
7.9
Le Conte de la princesse Kaguya

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (2013)

(Cette critique contient des SPOILERS)

Quand j'ai vu que le Studio Ghibli avait décidé d'adapter au cinéma le conte du coupeur de bambou, j'étais plutôt heureux. C'est un très beau conte, connu de tous au Japon, et qui possède une certaine sensibilité, une certaine poésie, qui sied en fait totalement aux standards du Studio Ghibli.

Adaptation assez large d'ailleurs, puisque le conte a été modifié. Il ne perd en rien sa substance, et les grandes lignes sont tout à fait similaires, néanmoins certains détails ont été changés pour aller un peu plus dans l'esprit du Studio. Là-dessus c'est assez réussi puisque la cohérence n'en est pas atteinte du tout.

L'une des premières modifications dans le film, c'est la présence du contraste entre la ville et la campagne. Et là on retrouve l'un des thèmes chers au Studio, la nature bien entendu. C'est probablement l'un des thèmes que l'on retrouve le plus dans les films du Studio Ghibli et c'est très souvent positif. Que ça soit dans Mon Voisin Totoro, Arrietty, Pompoko... La nature est souvent présentée comme un espace de tranquillité, de paix, de bonheur, d'insouciance. Bien sûr il y a quelques exceptions avec des nuances, par exemple Nausicäa ou Princesse Mononoké.
Du coup, ça n'a rien de très étonnant que cet aspect-là (nature, campagne...) soit présent dans le film sous un bel aspect. Dans le conte original, le coupeur de bambou, sa femme et la princesse vivent bien à la campagne mais ils n'emménagent pas en ville.

Cette modification permet au réalisateur de faire un contraste évident dont on pourrait éventuellement reprocher le manque de nuance. Concrètement, la ville n'a à peu près que des défauts et la campagne est un paradis.
En ville, les gens sont guindés, pétris de codes sociaux, de rites... C'est bruyant, les gens semblent plus méchants qu'à la campagne (cf. la scène du banquet avec les hommes qui veulent absolument voir la princesse). La seule exception que je vois, c'est la petite servante de la princesse habillée en rouge/rose, qui semble assez sympathique, souriante etc. C'est d'ailleurs elle qui accompagne la princesse et sa mère quand elles reviennent à la campagne, lorsque les cerisiers sont en fleur. Probablement pas une coïncidence.

Côté campagne, c'est bien différent. Le film commence par le printemps et ça n'est pas non plus un hasard. Tout semble très beau, très tranquille, parfait, les enfants jouent, rient, s'amusent, chantent etc. Il ne semble pas y avoir beaucoup de problèmes alors même que ce sont des paysans plutôt pauvres. D'ailleurs la pauvreté n'apparaît pas du tout au début du film et n'est présente qu'à un seul moment côté campagne : quand la princesse revient en HIVER et qu'elle s'aperçoit que la montage est déserte. Et encore, c'est pas vraiment très explicite cette pauvreté, mais on sent plus de tristesse.
Les habitants de la campagne semblent d'ailleurs ne souffrir d'aucuns maux lorsqu'ils y sont, pas même l'homme avec lequel la princesse parle à son retour en hiver. En revanche, quand ils sont en ville, tout se complique. Le coupeur de bambou est attiré par le pouvoir et une belle place, la princesse est souvent triste, Sutemaru apparaît comme un pauvre réduit à voler...

Le contraste entre les deux est donc absolument évident. Un peu trop évident peut-être, puisqu'à nouveau il n'y a pas beaucoup de nuance. Même si les scènes de bonheur existent à la ville (l'arrivée de la princesse dans la résidence et quelques autres scènes), les scènes malheureuses sont plus rares à la campagne et là je n'en ai pas vraiment souvenir.
Même la scène finale, particulièrement triste s'il en est, se déroule en ville. Comme si le réalisateur avait voulu préserver jusqu'au bout cette pureté de la campagne, ce bonheur éternel et intouchable.

Je persiste ainsi à penser que ce conte est parfait pour faire passer le message du réalisateur et du Studio Ghibli, cet éloge de la nature sur la ville. Pour moi c'est adapté et bien fait, sans pour autant que ça soit particulièrement exagéré. Il y a certains films d'animation japonais très engagés en écologie où on voit la nature et les animaux comme des saints et les hommes comme de sombres connards. Ça n'est vraiment pas le cas ici puisque les rapports restent surtout entre humains, ce sont plutôt leurs personnalités et leurs humeurs qui changent selon les lieux. Ça n'a donc pas vraiment de rapport avec, par exemple, l'opposition présente dans Princesse Mononoké, Nausicäa etc.

Sinon plus globalement, comme je le disais déjà un peu plus haut, la réalisation est parfaitement menée. Le film dure 2h17 et pourtant on ne s'ennuie jamais, même si j'ai peut-être trouvé le film un petit peu long à se lancer. L'intrigue est bien menée, il n'y a pas de réels « temps morts » dans lesquels il ne se passe rien. Et même dans les moments plus tranquilles, ça reste justifier vis-à-vis de l'intrigue, donc à ce niveau-là je reproche pas grand chose au film. Pourtant j'avais eu peur avant la séance car 2h17 c'est quand même plutôt long...

Quelque chose que j'ai bien aimé aussi où on voit que la réalisation est vraiment excellente, c'est à la toute fin du film. (Attention spoilers :) Les habitants de la Lune viennent chercher la Princesse et à ce moment-là du film qu'on se rend compte du second « message » que voulait faire passer le réalisateur, à travers l'opposition Terre/Lune. On s'en rend compte plus précisément lorsque la Princesse tient ses parents dans ses bras, sur le nuage, qu'elle commence à dire que la vie terrestre est faite de joie et de malheurs, et est coupée lorsqu'on lui met la robe de plumes sur les épaules. Et ça j'ai trouvé que c'était très bien fait. Parce que le message est très classique et je pense que lui faire continuer sa phrase aurait été une erreur, le spectateur aurait commencé à se dire « mouais bon c'est évident quand même qu'il y a des joies et des malheurs, tu m'apprends rien ».
Au lieu de ça le réalisateur a préféré jouer justement sur l'opposition dont je parlais, mais pas avec des dialogues.

On se rend compte tout d'abord de la froideur, de l'indifférence des habitants de la Lune lorsqu'ils arrivent. La musique qu'ils jouent est semblable à celle d'une fanfare, elle est entraînante, plutôt joyeuse, pourtant leurs expressions sont incroyablement impassibles. On a pas l'impression qu'ils sont heureux en les regardant, et que la musique est un peu « forcée », comme s'ils se forçaient justement à être/paraître heureux.
Bon après ils sont totalement indifférents au discours de la princesse sur les nuances de la vie sur Terre, et on lui dépose la robe de plumes avec un désintérêt assez incroyable. La dame qui lui remet cette robe n'hésite pas, c'est très soudain. Et juste après ça, le visage de la princesse devenant lui aussi impassible, la musique de fanfare redémarre. Cette musique joyeuse qui n'a strictement aucun rapport avec le moment triste au possible que viennent de vivre les parents de la princesse évidemment.

Tous ces éléments amènent donc le spectateur à voir que les habitants de la Lune ne ressentent strictement aucune émotion, par rapport aux Terriens. Comme je le disais, le message est très classique, mais la manière dont il est amené et posé sur la table est particulièrement bonne justement grâce à la réalisation impeccable.

Je reviendrai pas sur l'évidente qualité des dessins et de l'animation qui est de toute évidence fantastique, on a vraiment l'impression d'être devant une aquarelle, c'est incroyable. D'ailleurs je n'avais vu aucune bande-annonce du film et j'ai été assez surpris par ce style graphique car c'est vraiment (à ma connaissance) la première fois qu'il est utilisé par le Studio Ghibli et Takahata. La musique de Joe Hisaishi est comme d'habitude exceptionnelle, enfin là j'enfonce des portes ouvertes quand même.

Je finirai par une mention spéciale à une scène que j'ai adorée : lorsque la princesse s'échappe du banquet en courant. La vue de côté, avec la musique, le style graphique qui change légèrement (me faisant un peu penser à Okami d'ailleurs !). On arrive à ressentir l'émotion et la tristesse du personnage justement grâce à ces deux éléments (musique + style) sans voir le visage de la princesse.

Donc ce film est plutôt pas mal.
Rafy_007
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le 22 juil. 2014

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Rafy_007

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