Si l’action de l’association Promouvoir fait un tollé aujourd’hui, et cela pour diverses raisons (je ne souhaite d’ailleurs pas polémiquer ici, si ce n’est que le problème fondamental réside selon moi dans l’absence de limitation à 14 ans, ce qui réglerait dors et déjà un bon nombre de litiges), il faut imaginer ce qu’a pu être alors le parcours autrement plus chaotique de l’œuvre d’Henri-Georges Clouzot.


Réalisé pendant l’Occupation, c’est cependant à la Libération que ce grand film subit le marteau de la censure puisque, malgré son habileté, c’est cette période de vengeance qui a voulu l’effacer avec tout ce qui venait de Vichy, selon un jugement parfois abusif, et ce fut le cas ici. Ainsi, l’œuvre de Clouzot est tout autant, quant à son époque, une excellente évocation métaphorique qu’un illustre symbole de celle-ci, terrain de nombreux fantasmes présents et passés, mais avant tout période extrêmement complexe à analyser.


De fait, Le Corbeau est par excellence le portrait de la bêtise humaine inhérente aux temps troubles et tourmentés. Nous transportant dans un village provincial comme il en existe des milliers, ce chef-d’œuvre a le culot d’aborder la question de la délation en plein cœur des heures les plus sombres de notre histoire. L’apparition d’un corbeau au sein de cette petite communauté va alors faire surgir les plus bas instincts car, bien que ces lettres anonymes soient aisément reconnaissables comme calomnieuses, presque tout un chacun va se prendre à ce jeu de paranoïa, de défiance généralisée et de commérage exacerbé. On comprend alors que le mal réside en chacun de nous et qu’il fait toute notre ambiguïté, nous qui sommes un jour juges et le lendemain accusés…


N’hésitant pas non plus à évoquer l’avortement, on peut aisément songer que cette œuvre voulut surtout bousculer ses contemporains. N’était-ce pas alors lutter contre des moulins à vent ? Probablement, mais c’est certainement d’autant plus beau si c’est en vain. En temps de guerre, tenter de critiquer le manichéisme n’est pas chose aisée et pourtant Clouzot questionne la limite entre le bien et le mal, leur cohabitation en chaque être et le flou que cela peut générer.


Mais cette grande fresque de l’humanité est particulièrement teintée de pessimisme car elle apporte une conclusion opposée à celle de M le maudit en ce sens que la solution ne réside pas dans la justice mais, au contraire, dans la vengeance. Alors Le Corbeau nous pose un dernier problème : dans quelle mesure ces deux termes peuvent-ils cohabiter ?

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le 5 juil. 2016

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MonsieurBain

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