Raphaël Nadjari et son co-auteur Geoffroy Grison n’écrivent pas de scénario. Ils travaillent sur la structure et sur les personnages. Ensuite, devant la caméra, dans les décors, les acteurs improvisent leur scène, sans même une répétition. Les répliques sont justes et bien jouées, alors que le film a largement été dessiné sous forme de BD, donc mis en espace, mais pas dialogué. Pour Nadjari, préparer une scène, c’est donc préparer les comédiens à puiser les mots en eux-mêmes.

J’aime le cinéma de Nadjari depuis de nombreuses années. Et, en tant que documentariste, filmeur du réel, j’adhère à sa façon de tourner, de considérer le dialogue comme la simple expression du travail sur le personnage. Dans ce film » non dramatique », personne ne disparaît, ne se suicide ni ne se prend une pierre dans la gueule ; on se prend à imaginer une suite à cette exploration de la famille à travers ces personnages très attachants. Ori Pfeffer pourrait ainsi devenir un personnage récurrent, comme l’était Jean-Pierre Léaud pour Truffaut.

A Strange Course of Events raconte quelques jours dans la vie de Saul שאול. Son nom signifie Désiré en hébreu. Saul n’est pas au mieux. Il s’occupe de l’accueil des patients dans un centre de soins, un métier qui consiste, à peu de choses près, à se faire engueuler à longueur de journée. Pourtant, il gère les situations avec beaucoup de calme et fait de son mieux pour aider les gens. Un personnage un peu perdu, doux et attachant. Durant quelques jours, il va renouer avec son père, afin de pouvoir mieux le quitter. Son père et sa compagne sont absorbés par des croyances mystiques « new age », tandis que Saul voudrait juste toucher la terre, et n’y parvient pas.

Un ensemble de scènes burlesques, filmées avec beaucoup de lenteur, conduisent Saul – et avec lui le spectateur – vers, non pas une rédemption, mais un ensemble d’accomplissements personnels qui lui permettront d’aller de l’avant, et d’appeler enfin la jeune fille qu’il avait rencontrée à l’hôpital. Une figure à peine esquissé, venue à l’hôpital après s’être fracturée la main sur la boîte aux lettres de son ex, et qui promet, en cas de suite, un beau personnage.

Raphaël Nadjari et Geoffroy Grison partent d’un drame pour aller vers une forme de comédie burlesque, à laquelle on ne s’attendait pas, et qui permet au film d’être le plus joyeux de l’auteur. Son premier, The Shade, était sans doute le plus triste et dramatique. Raphaël se permet même d’utiliser de façon surprenante des effets spéciaux et des plans subjectifs, qui tranchent avec la distance avec laquelle il filme habituellement.

Les scènes prennent du temps à se mettre en place, mais tout s’enchaîne avec une belle fluidité, pour nous emmener vers une chute attendue mais réussie.

Beaucoup de films à Cannes abordaient cette année le thème de la guérison (Jimmy P, Le Passé, Jeune et jolie, Michael Kohlhaas ou encore Les Rencontres d’après minuit. Ici, Saul guérit par la vie, pas par la médecine, ni par la psychanalyse, ni la magie noire, ni l’utilisation de pierres mystiques, que sais-je encore ; simplement, grâce à une étrange succession d’événements, de glissades, de vols planés, de chutes qui le ramènent à terre, et lui permettent de comprendre que rien ne sert de dénouer le passé quand on peut se plonger dans l’avenir. Saul pensait avoir des choses à régler avec son père : il lui suffisait en réalité de descendre d’un escalator et de marcher vers l’avenir.

Dans la vie, parfois, les solutions, on tombe littéralement dessus.
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le 7 déc. 2013

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