Style de Malade pour Désespoir Macabre

Parmi mes 3 jours au festival de Cannes 2019, il était un film que je ne pouvais louper, celui que je désirais, qui m'obsédais tel un blouson 100% Deerskin, et j'ai pu assouvir ce désir.


Quentin Dupieux, au même titre que des Dupontel ou bien Noé crée la surprise à chacun de ses films, impossible de s'attendre pleinement au morceau qu'on va se prendre en pleine poire.
Quel bonheur de se retrouver assis, innocent du contenu auquel on va assister, avec Le Daim comme avec tous les métrages du singulier Dupieux, c'est un bonheur pur.
Malheureusement par moment gâché par des imbéciles qui sur-réagissent à grand coup de rire quand ça mériterait d'être plus subtil.
Ok Le Daim est une comédie, sans prétention aucune, comme l'œuvre entière du monsieur mais cela n'empêche que ce dernier bijou du cinéaste ne s'arrête pas là. C'est plus profond, c'est une histoire terriblement triste et froide, une envolée macabre désespérée, et rien que pour cela, les rires pourraient être quelques fois remplacés par un minimum de réflexion, c'est pour ça.


En revoyant un extrait tout à l'heure j'ai seulement capté que Dujardin nous place un joli et discret "C'est pour ça". Géniale réplique, culte pour les fans du Quentin, tirée du burlesque Au Poste !
Décidément j'ai la sensation que ce brave Oizo, celui qui parlait à travers le bruit, nous prépare un panthéon de répliques cultes.
Après le "Kubrick mes couilles" de Réalité, le fameux "C'est pour ça", voici maintenant trotter dans les têtes la prétentieusement décalée "Style de malade".


"Georges, 44 ans, et son blouson, 100% daim, ont un projet." On sent bien que Dupieux aime garder le mystère de son histoire, ou alors s'en bat les reins de la pitcher, et il faut dire que ça n'est pas évident à pitcher. Il balance juste ce qu'il faut en somme !
C'est sur du Joe Dassin qu'il ouvre sa descente aux enfers, enfin pas tout à fait, le plan d'avant est typiquement Dupieuxien. En une scène j'ai compris que j'étais plongé dans son univers.
"Et si tu N'existais pas", chanson parfaite pour conter cette histoire absurde, celle d'un homme désespérée qui claque tout son pognon dans un blouson en daim.
Blouson qui n'est que prétexte à la folie d'un homme perdu, triste, seul, mais aussi manipulateur, menteur et légèrement violent... Enfin disons qu'il a une utilisation peu commune des pales de ventilateur.


Jean Dujardin, qui décidément accepte de plus en plus de rôles indépendants, ce qui est une très très bonne chose, car même si je l'adore en OSS ou Brice de Nice, le voir chez Kervern et Delépine dans I Feel Good, Blier ou encore travailler avec Lelouch, puis désormais avec Dupieux, c'est un malin plaisir.
Il plonge sans contrainte ici dans le rôle désemparé de Georges, tout en lui apportant un mix entre sincérité, folie et complexité.
Blouson qui lui est vendu par un furtif mais délicieux Albert Delpy.
Adèle Haenel qu'il pourrait être étonnant de voir dans un tel univers, s'amuse comme une folle à travers ce rôle de monture... euh monteuse pardon, perchée intérieurement. Jouer aussi subtilement un rôle pareil, au milieu d'une histoire dingue, c'est jouissif à voir !


Du haut de ses 1h17 aussi folles que rapides, Dupieux sort de son cocon habituel en prenant quelques risques. Après avoir concocté plusieurs films ultra léchés au cadre millimétré et souvent bluffant, il prend le parti ici du cadrage à l'épaule, ainsi il suit plus aisément la folie de l'homme dans sa quête déboussolée. La photo, elle, se rapprochant du magistral Réalité, grisâtre tel un nuage devant l'objectif, couleurs ternes, superbe !
Saluons une nouvelle fois le travail de Joan Le Boru à la direction artistique. Sachant toujours créer un sentiment d'intemporalité claqué et unique.


Parmi ses prises de risque, Dupieux habitué depuis quelques œuvres à nous livrer des histoires en tiroirs, histoires qui se perdent entres elles, se mélangent, dans un élan aussi maîtrisé que chaotique. Se tente ici à une histoire fluide, suivant son personnage d'un point Y dirons-nous puisque Georges est déjà passé de l'autre côté de la barrière, nous le prenons en route, à un point Z, l'inévitable et génialement grotesque fin.
Comme l'impression que le Robert de Rubber a troqué son caoutchouc pour du daim et continue son délire macabre.


Un jeu de miroir permanent pour ce mythe de Narcisse revisité façon Dupieux, un régal de comédie malsaine, empruntant aussi bien à Bernie qu'à C'est arrivé près de chez vous, tout en gardant cette patte fabuleuse et cette obsession de l'image, de la vidéo. Ici non symbolisée par une VHS bleue sortie d'un sanglier mais par un caméscope faisant office de geste commercial ridiculement inattendu.
Le tout accompagné par une bande son absolument parfaite, non originale pour le coup, comme c'était le cas avec Réalité. Oizo a su lâcher l'affaire avec ses sons et depuis utilise brillamment ce qu'il trouve pour agrémenter musicalement ses œuvres, que de choix parfaits !
Le morceau The Long Wait est une pépite qui colle tellement bien au film !


En bref, entre pique à Tarantino, humour toujours très ciselé, premier degrés, qui crée inévitablement le décalage, mise en scène rafraîchissante, BO délicieuse, histoire aussi simple que redoutable, assez profonde quoi qu'on dise, et ce casting qui s'amuse tellement à nous régaler, Quentin Dupieux nous lâche un septième long métrage captivant, malsain, joueur, jouissif et terriblement cool au style de malade !

-MC

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