Le Daim, ma rencontre avec l'art de Quentin Dupieux, est un film en dent de scie : s'il commence de manière très grisâtre, pratiquement caméra à l'épaule, il gagne en finesse, en profondeur quand intervient le personnage principal féminin, interprété par une Adèle Haenel simplement normale, sans grand moment de gloire, tandis que Dujardin ne cesse de se bonifier avec le temps, trouvant un charisme insoupçonné.


Littéralement impeccable, il incarne son personnage à la perfection, lui donne intelligence et profondeur, permettant à ce drôle de type d'atteindre à la fois le stade du psychopathe effrayant, et de la figure de drame tragi-comique forcément attachante. Oscillant constamment entre un humour qui fait mouche (la vanne du remontage du Pulp Fiction de Tarantino est d'une grande efficacité, même si l'on soupçonnera Dupieux de vouloir faire plaisir aux connaissances de son spectateur) et l'existence pathétique d'un homme obligé de vivre seul, Dujardin mêle des émotions étrangement maîtrisées dans différents registres (il gère avec surprise la malhonnêteté) pour nous offrir un personnage autrement savoureux par son écriture, ses mimiques, son vocabulaire. Peu commun, il est à l'image du Daim : insaisissable, inabouti, entre deux mondes.


S'il est absurde, le dernier Dupieux ne va finalement pas suffisamment loin pour s'affranchir des règles des films conventionnels, n'épousant l'absurde que dans un traitement de personnage plus proche de la maladie mentale habituelle, de la schizophrénie comme on nous la représente au cinéma que de tout autre forme d'art obéissant à ses propres règles de logique. Si l'on veut résumer le daim, c'est surtout l'histoire d'un homme solitaire et rêveur qui, n'ayant jamais rien fait de bien marquant dans sa vie, tombe, au moment de sa descente aux enfers, dans un délire de supériorité du style, lui qui ressemblait à tout sauf au stéréotype de la beauté de son époque.


Ce n'est pas pour rien qu'il est filmé de près, quand Dupieux ne l'éclipse pas du cadre pour donner la place au blouson : s'il est proche du personnage de Dujardin (George), Le Daim montre uniquement son protagoniste comme fou, ne laisse aucune place à l'imagination, à la rêverie, enfermant son histoire et ses personnages dans une intrigue de mort, d'humour noir et de macabre à la Polanski, ou l'Auberge Rouge.


C'est donc avec surprise qu'on se rend compte qu'il manque, à contrario de l'interprétation de Dujardin, de folie, notamment parce qu'il se repose trop sur son atmopshère posée, sur sa volonté de tout montrer (chaque meurtre est presque dévoilé en face cam) sans laisser de grande place à la suggestion (hormis la scène de meurtre de la voisine campée à sa fenêtre, surement l'un des seuls passages émotionnellement impactant du film, tant il est plus mené avec violence et brutalité que pour ajouter de nouvelles notes d'humour noir).


On se questionnera aussi sur Adèle Haenel, qui campe donc une autre dérangée liée à Dujardin par ses mensonges sur le cinéma, quand elle avait le rêve d'en faire vraiment, et qui apporte énormément au film, notamment en profondeur, en réflexion, en charme. C'est là que le Daim dérange : s'il met beaucoup de choses sur le compte de l'absurde, on ne peut, paradoxalement, laisser de côté le manque de développement de cette Denise qui, sans autre personnalité que celle de conduire sur une conclusion cynique quelque peu forcée et d'ajouter à l'intrigue une mise en abîme cinématographique peu aboutie, aura pour principale fonction celle de pointer la courte durée du film, ses personnages lisses (certes hormis Dujardin), pas assez développés, et sa fin bâclée.


Balancée d'un coup comme, paraît-il, Dupieux aime le faire, il n'en demeure pas moins qu'il manquera une bonne demi-heure de développement à cette petite 1h17, quand le film s'emballera sans plus s'intéresser à sa thématique principale, vivre par et pour l'image, pour devenir certes généreux en humour noir et en violence gratuite, mais y perdant toute réflexion et originalité. Là où le film devient une fable hilarante, on abandonne complètement la réflexion faîte autour du cinéma (qui laissait penser, au départ, qu'il serait un nouveau Videodrome), de l'amour sincère permis par le mensonge et la duperie, par la folie qui se propage et le culte de la personnalité, du beau, de ces pensées obsédantes que peuvent avoir les fous de mode, de style, d'habits, ou simplement ceux qui veulent s'intégrer dans une société d'apparences.


Sorte d'Indiana Jones de l'asile, Dujardin mène donc une oeuvre en demi-teinte certes divertissante, finalement plutôt jolie et réussissant haut la main les dialogues entre Georges et son blouson en Daim avec une fluidité désarçonnante (c'est presque aussi dérangeant que le Gollum de Jackson qui parle au Gollum de Jackson dans Les Deux Tours), mais qui se coupe trop tôt par une justification trop vite trouvée, trop vite expédiée, laissant certes le sourire et concluant bien le parcours de Dujardin, sans pourtant que ce film faussement absurde ne trouve de logique dans le déroulé de son intrigue.


Il est facile, quand on fait un thriller d'humour noir, de plaider l'absurde pour ne plus s'intéresser aux règles de notre monde, aux flics qui se pointent quand on tue des gens, au développement des personnages nécessaire à l'empathie qu'on pourrait reconnaître à leur égard, ou même à mener à terme une réflexion sur les thèmes principaux d'une oeuvre, passés à la trappe pour respecter son idée de base, celle un peu casse gueule de faire de l'absurde dans un monde normal, où les personnages n'iront pas suffisamment loin dans leur délire, et tenteront toujours tellement de justifier leurs actes qu'on y verra seulement une sorte de Bonnie and Clyde un peu barré (True Romance, dites-vous?), loin du what the fuck annoncé.


Un bon film, le cul entre deux chaises puisqu'il n'est ni trop absurde ni trop cohérent pour devenir réaliste.

Créée

le 20 juil. 2019

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FloBerne

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