Plus de 6 millions. C’est le nombre d’abonnés du Youtuber TiboInshape, c’est-à-dire presque 1/10 de la population française. Absurde me direz-vous ? Tout autant que Le Daim, le nouveau film de Quentin Dupieux dans lequel on suit George (Jean Dujardin, 100% convaincant) qui décide de tout plaquer du jour au lendemain pour s’acheter le blouson 100% daim de ses rêves.
Si l’habit ne fait pas le moine, le daim fait le guedin. Dans le nouveau projet fou de Dupieux, c’est Dujardin qui se munit d’une caméra et d’un gourdin pour réaliser son rêve : devenir le seul homme à porter un blouson. Cette fascination pour le vêtement créé ou portée, plus précisément la matière – ici le daim, célèbre l’affirmation de son identité, celle de George, finalement bien seul ainsi que son rapport au monde donc aux autres. L’exiguïté de la relation entre George et son blouson, phagocyte toutes les caractéristiques de George, d’abord son argent puis son humanisme. George et son blouson sont très souvent filmés dans le même plan, le changement de point de vue se réalise aussi simplement que par un ajustement de la focal de l’objectif qui donne la parole soit à George, soit à la veste. Dans l’étroitesse de la frontière entre lucidité et folie, décors français contemporains et intemporalité, Dupieux s’engouffre dans une meurtrière -aussi large que les barreaux d’un lit?- pour y insuffler l’absurde. Il en profite également pour mettre en abyme le débat autour de son oeuvre cinématographique critiquée qui, comme le travail de George, n’est finalement pas un travestissement du cinéma par un réalisateur qui équivaudrait à ce qu’est une « pute » à la condition féminine. Dupieux n’est pas la péripatéticienne du cinéma français. Non, comme le répond George ou Dupieux : je suis un artiste. Fou ? Aliéné ? Un artiste névrosé c’est certain ! De là à tuer ? Jusqu’où ira George ? Jusqu’où ira Dupieux ? Loin…
Le Daim est maîtrisé et cohérent de la première à la dernière minute dans ce format adéquat et assumé par Dupieux de 77 minutes. En semblant avancer sans savoir véritablement où aller, telle l’écriture d’un roman, Dupieux nous surprend sans cesse. Le Daim est peut-être moins drôle que ses précédents films, malgré certaines situations alléchantes – comprendra qui aura vu mais il démontre que l’absurde n’engendre pas systématiquement des situations humoristiques. Au contraire, de la même manière que Camus et son cycle de l’absurde – L’Etranger, Le Mythe de Sisyphe, Caligula et Le Malentendu– il démontre que l’absurde n’est pas forcément drôle. L’absurde est peut-être le premier genre à se rapprocher le plus de la vérité. Camus disait que « les humains sont des créatures qui ont passé leur vie à essayer de se convaincre que leur existence n’était pas absurde. » George l’a aussi bien accepté qu’appliqué…
Comment ai-je pu ne pas aborder Adèle Haenel ? Je vous laisse déguster cette savoureuse surprise -qui n’en est plus une depuis longtemps, que vous retrouverez aussi incroyable ici que dans le prochain Portrait de la jeune fille en feu.