Le Début
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Le Début

Film de Gleb Panfilov (1970)

A ses débuts, le cinéma soviétique ne mettait pas du tout en jeu de destins individuels. Une telle approche était la marque d’une mentalité bourgeoise, donc condamnée par le régime. Qu’on pense aux chefs d’oeuvre d’Eisenstein. Ce n’est plus forcément le cas à l’époque de Panfilov, mais il en reste des traces : si destin individuel il y a, il est mis en perspective avec celui de quelque chose de plus grand que lui. On retrouve cette caractéristique dans le très sublime Quand passent les cigognes, qui eut une influence décisive sur Gleb Panfilov.


Comme dans son premier long métrage, Pas de gué dans le feu, Panfilov met en regard un destin individuel et la grande Histoire : la révolution bolchevique dans son premier opus, l'histoire de Jeanne d'Arc dans celui-ci. Cela peut surprendre, mais notre bergère nationale, au même titre que Spartacus, l'esclave rebelle, avait été récupérée par la propagande bolchevique comme un symbole d'héroïsme populaire. A tel point que Panfilov voulait réaliser une histoire de Jeanne d'Arc. Mais son projet tomba dans une période de frilosité, et sa demande fut rejetée. Il eut alors l'idée de contourner l'obstacle, racontant l'histoire d'une jeune ouvrière, Pacha, qui se révèle comme actrice dans le rôle de Jeanne. Le thème du talent et de son épanouissement se retrouve ici, là encore comme dans Pas de gué dans le feu.


C'est toujours Inna Tchourikova qui endosse le costume du personnage principal. Le film est d'ailleurs proche de l'autobiographie puisque Panfilov la découvrit lors d'une représentation théâtrale, dans le rôle de Baba Yaga, comme dans le film - moment très chouette dans la loge avec le maquillage autour des yeux, où on lui propose le rôle. On la voit ensuite peiner à assumer le job, lors d'une belle scène où elle affirme que "ses mains la gênent"... véridique aussi ? On la voit également rejetée par les producteurs, et en souffrir. On sait que Panfilov dut batailler pour l'imposer, et qu'il croyait très fort en elle - elle deviendra son épouse.


Et en effet, elle est étonnante d'expressivité. Un peu moins que dans son premier film peut-être ? On la suit néanmoins avec une certaine intensité, par exemple dans la scène du bal, où elle adresse un clin d'oeil à la caméra. Ou dans celle du dîner en amoureux, qui s'achève par un émouvant duo chanté.


Car, de même que dans Pas de gué dans le feu apparaissait régulièrement la peinture naïve de Tanya, le montage alterne ici entre les scènes du tournage de Jeanne d'Arc - le film dans le film - et celles où l'on suit Pacha dans sa vie quotidienne. Elle s'est éprise d'un homme marié, gentil mais assez lâche. Pacha, comme Jeanne, est "tout feu tout flamme". Et le propos du film est d'établir un parallèle entre le combat héroïque de la Pucelle face à son tribunal et celui de Pacha face aux aléas de sa petite vie quotidienne. Belle scène finale sur un banc, qui précède juste la mise au bûcher de Jeanne d'Arc. Un autodafé qui, s’il a déjà été montré au cinéma, par Dreyer notamment, glace toujours d’effroi : ces quidams qui viennent assister, surexcités, au spectacle d’un être humain brûlé vif...


De jolies choses encore, comme ce plan sur Jeanne d’Arc avec une tête de cheval qui apparaît sur la gauche. Sans doute moins que dans son premier opus toutefois, je n'ai pas toujours été passionné par ce qui se passait à l'écran. Pas trop aimé la fin non plus, avec ce succès de Pacha devant un immense public. Il me semble qu'elle cadre mal avec le propos développé pendant le film.


6,5

Jduvi
6
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le 23 juil. 2019

Critique lue 239 fois

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Jduvi

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