L'attente d'un ennemi hypothétique

Le roman de Dino Buzzati avait tenté plusieurs réalisateurs comme Antonioni, Visconti, David Lean, Bertuccelli ou Pierre Schoendorffer... j'aurais en effet bien vu David Lean réussir cette adaptation, c'était dans son style, mais le projet semblait une chimère, jusqu'à ce que Jacques Perrin qui avait acquis les droits du roman, impose Valerio Zurlini.
Comme tous les films tirés d'oeuvres littéraires complexes, celui-ci fut accueilli avec réserve, le pari semblait en effet impossible, et mon premier visionnage avait été divisé. Vu aujourd'hui, le film me laisse toujours dubitatif, mais j'ai avancé d'un cran en reconnaissant ses qualités ; c'est un conte philosophique étrange qui garde une certaine fascination fondée non pas sur une action dramatique, mais sur des fantasmes, sur l'absurdité de la vie et de la mort.
Le film est quand même splendide dans sa lenteur du temps qui passe sur ces personnages figés comme des statues et repliés dans leur attente d'un ennemi hypothétique. La mise en scène est dénuée de toute emphase, elle se fait discrète et ne sert qu'à magnifier l'humain séduit par le charme dérisoire de ce lieu intemporel. Enrobé d'une certaine froideur, de sévérité et de désespérance, le ton imprimé par l'ensemble crée une angoisse diffuse, une impression de dépérissement et de folie, soulignée par la musique de Morricone.
Le niveau est d'autant plus élevé que le casting étincelant et international reste d'une homogénéité remarquable, en faisant passer l'ambivalence des rapports humains au milieu de ce luxe des repas et de cette atmosphère oppressante, et tout ceci sans qu'interviennent des numéros d'acteurs. Je pense donc qu'un troisième visionnage m'aidera à monter ma note encore d'un cran, j'ai bon espoir.