Quand le descendant de Bernadotte a l'impression de se voir dans un miroir.
La sortie d'un tel film en Suède n'est pas innocente, bien qu'il ne concerne pas directement le Roi de Suède. Si Carl Gustaf Folke Hubertus Bernadotte (nom de naissance, nous l'appellerons par commodité au long de cet article Hubert B.), n'est pas bègue, il est connu pour être dyslexique.
Le discours de Noël 2010 n'a pas loupé, et même si habituellement les dyslexiques n'ont pas de problèmes d'élocution, (si on écrivait sur Wiki, y'aurait un "ref. nécessaire" pas piqueté des hannetons qui se serait invité dans la danse, le ref. pas le hanneton suivez un peu), là Hubert B. s'est surpassé et le rythme (lent) s'étalonnait sur les voeux plats et sucrés qu'il a délivré sur la chaîne nationale. Le Roi est lagom et il assume à fond.
Bégayer, balbutier, hésiter, avoir la voix qui tremble et la langue qui fourche... devient plus qu'embarrassant lorsque le principal voire unique labeur qui nous incombe est de parler !
Ces petits crimes de lèse-majesté effectués, la bile française évacuée, le terrain est libre pour l'appréciation esthétique. Rendons honneur à ce film de Hooper et Seidler qui nous montre à quel point de telles difficultés d'expression peuvent mener à des situations pathétiques.
Le pathos, je l'attendais au tournant, je le guettais telle une tigresse à l'affût d'une proie ridicule et pourtant si drôle à attraper et déchiqueter lorsqu'elle se débat vainement les yeux plein de larmes.
Non, King's Speech n'est pas là pour faire pleurer, ni vous, ni les chaumières ni même les iris sur le toit. La performance excellente de Colin Firth – qui se révèle enfin dans un rôle de tout premier plan – nous donne à voir un Prince Albert, Duc d'York conscient de sa force et de sa faiblesse, battant et influençable. Connaissant sa place mais avec une envie menaçante de la haïr.
Ce personnage aristocrate, noble, droit n'aurait pas autant d'intérêt si Geoffray Rush en improbable orthophoniste sautillant ne l'asticotait pas à chacune de leur rencontre. Ne prenez pas "asticoter" au sens négatif du terme mais bien plutôt au sens de titiller, énerver, dynamiser, activer et mettre au jour toute l'hypocrisie de la Cour Anglaise. Accessoirement tenter d'aider le Duc.
Le tableau est parfait lorsqu'on y ajoute l'incarnation de la Duchesse d'York parfaitement gourmande, fière et amoureuse par Helena Bonham Carter (ça fait du bien de la voir dans autre chose que dans les films de Burton, un peu lassant à la longue). C'est une (rudement) bonne actrice qui a su être le parfait lien entre le personnage un peu guindé bien que très humain campé par Firth et celui plus fantasque et tout en conscience de ses propres pouvoirs : Lionel Logue, l'orthophoniste.
Les accrocs de l'histoire vraie, véritable et authentique seront servis royalement. La guerre mondiale leur est apportée sur un plateau. Et voir cette déclaration des côtes anglaises est assez déroutant.
Finalement un prisme de l'antiquité nous dirait qu'on a tout d'une bonne tragédie, bien qu'un peu perverse : le devoir du roi contre l'homme qui bègue. Que choisir, sa tranquilité ou le pays? Ô cruel dilemme.
Mais mais mais on ne tombe pas dans le pathos. Le film est sensible souvent drôle, particulièrement humain et authentique.