« Le Doulos », film de Jean-Pierre Melville sorti en 1963, n’est probablement pas le plus grand chef d’œuvre de son auteur, mais peut-être l’un de ses plus caractéristiques. Mettant en scène Jean-Paul Belmondo et Serge Reggiani, il s’agit d’un polar centré sur le personnage de Silien (Belmondo), suspecté par le milieu des truands parisiens d’être un "doulos", c’est-à-dire, dans le jargon, un indicateur de police.


Lorsque le casse "trop facile" qu’il mène vire à la catastrophe, Maurice (Reggiani) soupçonne immédiatement Silien de l’avoir vendu : ceux qui étaient au courant de ses plans se comptent en effet sur les doigts d’une main. Silien, quant à lui, se trouve face à une lourde pression ; de la part de la police, qui cherche à épingler Maurice, et de la part des comparses de ce dernier, qui le croient coupable d’avoir vendu son ami.


Nous voyons évoluer les personnages dans les environnements caractéristiques du polar "melvillien" : commissariats de police très américains, bars et nightclubs enfumés, rues parisiennes nocturnes, souvent remontées en voiture. Le film s’articule sur une intrigue à tiroirs complexe – aux convolutions parfois presque inutiles – et s’attache à développer le caractère de ses personnages. Ceux-ci sont également très caractéristiques du cinéma de Melville : ils possèdent un sens de l’honneur et une dignité (parfois très alambiqués) qui leur importent plus que leur vie… C’est un thème récurrent chez le cinéaste français ; la dignité suprême d’un personnage lui impose d’être fidèle en amitié et de savoir "ben mourir".


Au crédit du film, on retiendra son atmosphère ; le travail du chef opérateur de Melville est remarquable et les jeux de contraste en noir et blanc sont somptueux. Le scénario un peu compliqué est néanmoins intéressant à suivre : s’il y a un peu trop de personnages et que ceux-ci ne sont pas assez introduits, la multiplicité des inconnues de l’intrigue permet de stimuler la réflexion et offre une réponse satisfaisante en fin de film. Il faut dire un mot sur la maîtrise formelle de Melville dont même les simples plans en champ-contre champ sont d’une précision (au centimètre près) qui force l’admiration.


S’il faut aussi compter les mauvais points, il est toutefois nécessaire de relever la tendance de beaucoup de personnages à jouer assez mal (les femmes, en particulier, sont soit très mal dirigées soit de très mauvaises actrices). Melville aime ses dialogues très écrits – et donc, très peu naturels – et cela donne lieu à quelques situations particulièrement ridicules.


« Le Doulos » est un genre de film noir américain réalisé par un cinéaste français. Melville, en grand amateur du genre et en parfait connaisseur du cinéma des années 40 et 50 d’outre-Atlantique, y rend ici hommage. Ses personnages portent le trench-coat et le chapeau à la Bogart, les commissariats sont américains avec leurs fenêtres à persiennes.


Quentin Tarantino a déclaré son amour pour « Le Doulos » à de multiples reprises, et la scène d’ouverture de « Inglorious Basterds », comme le remarque justement Bertrand Tavernier, n’est pas très éloignée de la confrontation entre Maurice et Gilbert en ouverture du Melville. Une occasion, à son tour, de rendre hommage au maître français du polar qui l’a inspiré, comme celui-ci s’était inspiré de la génération d’avant.

Aramis
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le 30 déc. 2017

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