Très surpris par la tonalité du film, tant c’est sans doute le plus « bressonien » des films d’Hitchcock dans son découpage, ses cadrages, d’une extrême rigueur formelle, et l’utilisation d’un matériau réaliste (Le film va jusqu’à s’ouvrir sur une apparition du maître qui précise que contrairement à ses autres films, tout ce qui est raconté ici est vrai) qu’il parvient à ériger en manifeste documentaire. Il faut dire que c’est un beau portrait du New York des années 50, déjà. On voit beaucoup la ville. En plus de saisir les moindres gestes.


 Le faux coupable semble se construire contre l’Age d’Or hollywoodien, contre le cinéma hitchcockien habituel et tente de s’aventurer formellement vers quelque chose de plus européen. Le matériau réaliste permet à Hitchcock d’en accentuer sa précision documentaire, d’en faire une approche clinique. De facto si le suspense est savamment orchestré, le film en perd un peu de sa force onirique, de l’inventivité de chaque instant si chère au talent hitchcockien. Toute la partie centrale, lorsque Fonda est relâché sous caution et part en quête d’un alibi, est sans doute trop mécanique, trop maitrisée, au premier abord, dans sa succession de saynètes hyper découpées et assemblées pour faire glisser le film vers une surprise ou un imprévu dignes des plus belles réussites du maître. C’est en tout cas ce que l’on croit.
Le faux coupable serait peu sans Henry Fonda et Vera Miles, tous deux étincelants. Lui tant il parvient à jouer cet homme ordinaire à qui il arrive quelque chose d’injuste et extraordinaire, avec une transparence folle, prestation à laquelle on pourrait rapprocher récemment celle de Riz Ahmed, dans la série HBO, The Night Of, qui raconte elle aussi une énorme injustice. Henry Fonda n’est plus Henry Fonda, mais bien le personnage qu’il incarne. Et ce sera pareil chez Lumet la même année, dans Douze hommes en colère. C’est dire le génie de cet acteur. Quant à elle c’est autre chose. La complexité de ce personnage qui glisse vers la folie est très difficile à incarner, cette femme qui doute de l’innocence de son mari au point d’en transférer la culpabilité sur ses frêles épaules. La subtilité de son jeu dépasse très largement ce qu’on peut attendre d’une performance d’actrice issue des studios.
Il y a au passage toute une dimension christique qui accompagne le film, dans la mesure où c’est lorsque le personnage s’en va prier (il ne cesse de transporter un chapelet durant tout le film) qu’on découvre en surimpression au détour d’un plan dont seul Hitchcock a le secret, le visage du vrai coupable qui sera bientôt arrêté. On croit tenir une issue facile et un happy end bâclé si l’injustice réparée n’avait pas laissé ce profond sentiment de tristesse en accablant la pauvre femme. Cette fin est d’une tristesse sans nom. Sans doute car c’est la plus réaliste possible. Ce même si Hitchcock offre un épilogue plus heureux, en apparence, puisqu’il est seulement écrit et ce ne sont que des silhouettes qu’on perçoit dans l’arrière-plan. Rien de rassurant là-dedans.
Si le transfert d’identité et de culpabilité obsède Hitchcock, il ne l’avait jamais traité sous cet angle si sérieux inhérent au véritable fait divers. S’il n’apparait pas dans le film (Hormis donc dans cette introduction) c’est parce qu’il juge bon de ne pas être un cas de distraction. De le voir s’aventurer là-dedans entre L’homme qui en savait trop, remake de son propre film, et Vertigo, son chef d’œuvre, dit combien c’est un cinéaste qui n’aura cessé de sortir des rails. Le faux coupable a ceci de fascinant qu’il est un pur produit hitchcockien autant qu’il est complètement inattendu pour du Hitchcock. Ça c’est fort.
JanosValuska
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le 10 févr. 2018

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JanosValuska

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