J’en avais déjà parlé au moment où sortait La Sapienza : Ça demande d’y mettre du sien, un film d’Eugène Green. On n’entre pas dedans si facilement. Mais sitôt qu’on y est happé, c’est un voyage qu’on ne veut voir s’arrêter. A l’instar des grands cinéastes, Green a son univers et ses propres codes, que l’on doit apprendre à apprivoiser plus que déchiffrer.


 Dans La Sapienza c’était la cassure géographique, le mouvement vers l’Italie (Rome, Stresa, Turin) qui élevait subitement le film, brisait la gêne, libérait la beauté pure qui jusqu’alors couvait. Dans Le fils de Joseph aussi il faudra une rupture nette pour que le film prenne son envol. C’est Fabrizio Rongione qui l’apportera. 
C’est la première fois que ça me travaille à ce point : En fait, Green, c’est Rohmer qui fait son Bresson. Le moralisme du premier s’acclimate avec le mouvement du second. La farce avec la spiritualité. Le profane et le sacré. Le jeu et le mythe. A l’image de cette séquence aussi cocasse que terrible où Vincent se retrouve dans une bien étrange posture dans le cabinet de son père. A l’image surtout de la séquence finale, qui pourrait être une sorte de croisement insolite entre Pauline à la plage et Au hasard Balthazar.
L’histoire prend une envergure folle à mesure que s’ouvrent les étages du récit, parce que si les mots sont une fois de plus la matière première du cinéma d’Eugène Green, c’est dans sa relecture biblique que le film séduit puisqu’il parvient à ne jamais le dénaturer tout en nous faisant oublier qu’il adapte à sa façon quelques pages du Nouveau Testament.
Vincent, adolescent paumé dans ses convictions et incapable de différencier le bien du mal, va rencontrer son père biologique tandis qu’il a toujours cru ne pas en avoir. Déçu du résultat (Je craignais la présence d’Amalric mais non, il est parfait dans ce personnage infect et ridicule : « Satan, toi qui règne sur le monde, délivre-moi des emmerdeurs ! ») il trouve du réconfort imprévu auprès du frère d’icelui, qui va, sans forcer, lui enseigner les vertus et richesses de l’humanité. Devenir son père spirituel, en somme.
Le précédent Eugène Green s’intéressait à la sapience. Le fils de Joseph vise la bonté. Le film s’en tiendrait à ce glissement, cette rencontre antre Vincent (Jésus) et Joseph, qu’il gagnait. Mais il va aller plus loin. L’apparition de Joseph, bon, érudit, convoque forcément celle de Marie, la mère de Vincent, qu’on sait du côté du bien, depuis le début du film. C’est cette nouvelle rencontre qui propulse littéralement le film vers le sublime. Quand Marie et Joseph filent au cinéma pour y voir Le désert rouge, on y est. C’est comme lorsque Vincent est étendu sur son lit devant une représentation du Sacrifice d’Abraham.
La dernière partie, absolument géniale, achève d’en faire un grand film sur le rapport au père et la quête spirituelle. Un grand film, tout simplement. Insolite, exigeant, unique, magnifique.
JanosValuska
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le 26 déc. 2017

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