Le Garçon et le Héron
6.9
Le Garçon et le Héron

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2023)

Déjà, en 2013, il avait été question pour Hayao Miyazaki d’en finir.

Le vent se lève devait être son dernier film ; c’était du moins ainsi que celui-ci avait été annoncé par l’intéressé lui-même ; le genre d’annonce jamais anodine, surtout lorsque celle-ci provient d’un auteur aussi prolifique et déterminant dans l’histoire du cinéma que le père de Mon voisin Totoro ou autres Voyage de Chihiro. Tout adorateur ne peut qu’espérer d’une telle œuvre qu'elle sache faire synthèse ; qu’elle sache être un aboutissement, pour ne pas dire une apothéose. Dit autrement, un testament.

…Un testament qui, pour ma part comme pour beaucoup, avait laissé un goût des plus amers.

Pas de rêverie ni d’enfant. Pas de fantastique ni d’évasion. Pas de noble quête ni de parcours initiatique libérateur. Non, avec Le vent se lève, le testament laissé avait des allures de souffle retombant. Une triste et plate histoire d’un passionné faisant fi de tout – causes comme proches – au service de ses jolis rêves. Autant dire que l’allégorie avait eu du mal à passer.


Dix ans plus tard, rebelote.

On est désormais en 2023. Hayao Miyazaki s’est finalement attelé à un nouveau « dernier projet ».

Forcément, on sourit un peu jaune quand on sait ce que peut valoir cet effet d’annonce. Mais reste néanmoins trois réalités qui font qu’on ne peut pas ignorer un dernier film de Miyazaki.

D’abord parce qu’un film de Miyazaki reste un film de Miyazaki. Et même si Le vent se lève était une purge, quasiment tous les autres étaient des bijoux.

Ensuite, au vu de son âge – 82 ans – on peut désormais plus enclin à croire le vieil homme quand il dit qu’il s’agit certainement là de son dernier film.

Enfin, il y a tout simplement le film en lui-même. Sitôt l’ai-je vu, ce Garçon et le héron, que je m’en suis bien voulu d’avoir émis autant de réticences à aller le voir… Car pour sûr qu’il s’agit bien là d’un vrai bon Miyazaki.

…Et pour sûr aussi qu’en tant que testament, ce film a vraiment tout ce qu’il faut pour clore la carrière du brillant cinéaste nippon.


Pourtant, je l’avoue, le début m’a d’abord laissé dubitatif.

Certes c’est techniquement somptueux – soigné dans le moindre détail – et il suffit d’ailleurs d’une simple séquence au milieu des flammes de 1945 pour que le vieux maître mette tout le monde à l’amende. Franchement, c’est saisissant.

Seulement les fantômes d’un vieux vent fétide se lève aussi très vite.

Cadre de seconde guerre mondiale. Personnage d’enfant dans lequel il est facile d’y percevoir une sorte de projection de Miyazaki lui-même. Tout ça à des allures de témoignage d’enfance certes potentiellement touchant, mais aussi terriblement banal et soporifique.

Le coup des réalisateurs qui s’appesantissent sur leur petite personne au moment où vient l’âge de raison, on commence par trop connaitre – surtout cette année – alors forcément le spectre de ce type de spectacle à clairement de quoi effrayer.

C’est que le film prend son temps et ne brille clairement pas – du moins dans son premier quart – par son originalité… Et quand surgissent tout soudain le spectre d’une histoire de fabrication de chasseurs Zéro, on croit que le pire est à venir.

Une redite de testament vaseux. Pire scénario qui soit…

Heureusement qu’un mystérieux héron veillait tout ce temps sur cet étrange spectacle, car c’est lui qui, me concernant, est vraiment venu changer la donne.


Piano mais sano, ce Garçon et le héron finit par poser ses éléments un à un, et soudain le projet prend corps. Le testament prend corps.

Ce film n’est certes pas Mon voisin Totoro, mais difficile de ne pas y penser un instant quand le jeune Mahito part à la découverte de son jardin et des environs. Il n’est pas non plus Le voyage de Chihiro, mais quelque chose de cet auguste aïeux est présent lorsqu’il s’agit de franchir ce mystérieux passage interdit.

Et que dire de cette tour mystique qui – dans son aspect final – n’est pas sans rappeler Nausicaa ?

Et comment ne pas voir un petit peu de Porco Rosso dans cette brigade de perruches fascistes, voire même les sylvains de Mononoke à travers les tout mignons warawaras ?

L’air de rien, l’esprit de synthèse prend ici vraiment corps, et il fonctionne d’autant mieux que – dans le cadre de Garçon et le héron, il parvient à prendre vie.


Car oui, il aurait été facile au fond de simplement accumuler les références paresseusement, à la manière d’un Spielberg qui assemble son pathétique Ready Player One, et c’est heureusement ce que ne fait pas ce film. Il respire l’esprit des autres films sans oublier d’avoir son identité propre. Et même si les ressorts utilisés ont parfois des allures de déjà-vu, tout cela se justifie sitôt ce film parvient-il à mettre en avant ce qui constitue son autre indéniable force : son propos.

Car outre le fait que l’emballement progressif de l’intrigue participe à la multiplication des univers, des créatures et des personnages (enrichissant de fait l’aventure) ; cet emballement présente aussi pour grand mérite de développer une histoire qui finit par donner pleinement corps au propos.

L’idée de testament.


Car il n’y a rien d’anodin à ce qu’au fond, cette histoire raconte l’histoire…

…D’un enfant qui ne parvient pas à accepter la mort, en l’occurrence celle de sa mère, et de l’autre côté un vieil homme qui s’efforce fébrilement de préserver un monde de l’imaginaire et du souvenir qui n’attend qu’un successeur pour perdurer.

Tout ça bien sûr relève du dialogue intérieur de l’auteur, actant la fin, mais sachant trouver au-delà de cette fin la possibilité d’une autre vie, voire d’une relève.

A accepter Natsuko comme une nouvelle mère – une autre mère – Mahito parvient à sortir de ce cadre mortifère de rester attaché à ce qui est irrémédiablement perdu. C’est l’acceptation qu’autre chose puisse exister au-delà de ce qu’on laisse derrière soi.

Une imagerie d’autant plus puissante que Miyazaki a su, de son côté – et contrairement à ses homologues occidentaux – associer son analogie personnelle à celle de tout un pays. Car au-delà du drame et de la nécessaire renaissance de Mahito, c’est bien de celle du Japon post-seconde guerre mondiale dont il est aussi question. Et quel plus beau message que celui d’avoir su conjuguer la renaissance d’un pays à celle du pardon ; pardon notamment à l’égard du héron et de ces pélicans, que l’iconographie miyazakienne ne manque pas de nous les rapprocher…

…Des avions semeurs de morts américains.


Alors certes, Le garçon est le héron n’est peut-être pas le film de Miyazaki le plus puissant, puisqu’au fond il s’agit là de l'œuvre d’un vieux sage prêt à passer le flambeau, mais il n’en reste pas moins un film important dans la filmographie de l’auteur.

Véritable testament et testament véritable, ce Garçon et le héron sait se regarder comme un bel adieu, à la fois contemplatif sur ce qui fut et ne sera plus, mais à la fois confiant et plein d’espoir sur ce qui sera au-delà de son monde à soi.

Donc merci M. Miyazaki pour ce que vous nous laissez-là…

…Et bon vent à vous, pour vos derniers jours comme pour au-delà.


lhomme-grenouille
8

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le 2 déc. 2023

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