Texte publié dans le cadre du Ciné-Club le 28/04/2021


Il semble aujourd'hui de bon ton, du haut de notre misérable condescendance à l'égard du cinéma populaire français, de railler le film qui fut l'un de ses plus illustres représentants durant les années 1970. Pourtant, tout le charme du Grand Blond avec une chaussure noire, loin de se résumer à sa sympathique désuétude, trouve ses fondements bien d'avantage dans ses qualités intrinsèques et intemporelles, symbole d'un savoir-faire national, de nos jours rabougri, à l'égard de comédies pourtant typiquement français.


Car que l'on ne s'y trompe pas ; il est absolument indéniable qu'Yves Robert maîtrise autant son sujet que sa matière, eu égard, notamment, à l'expérience acquise au cours d'une carrière longue de plusieurs décennies au succès très rarement démenti. Déjà passé expert dans l'art de mettre en scène efficacement un humour principalement visuel, notre homme parvient à mener tambour-battant une série de péripéties souvent à la limite de l'absurde – domaine dont il connaît les mécaniques, puisqu'il parvint entre autres, en tant que producteur, à importer par chez nous les Monty Python. Parfaitement fluide, l'ensemble s'en trouve donc plus que plaisant, quoiqu'un peu handicapé par un montage parfois quelque peu dissonant.


Fort heureusement, l'enthousiasme jubilatoire de ses interprètes agit sur Robert par une sorte de mimétisme, comblant du même coup les quelques balbutiements de réalisation dont ce dernier peut faire preuve ici ou là. Blier, Darc, Carmet, Rochefort – tous gravitent magnifiquement autour du point névralgique Pierre Richard, lequel s'inspire très probablement de la prestation, pourtant personnelle, de Belmondo dans L'Homme de Rio. En effet, bien que mâtiné d'une maladresse évoquant plutôt Hulot ou Charlot (on y vient), Perrin, comme Dufourquet, n'a de cesse d'être catapulté d'un point à l'autre d'un récit aux embranchements autant multiples que croissants, plongeant ainsi progressivement un univers auparavant organisé dans un chaos dont l'invraisemblance, au bout du compte, fait naître le comique.


L'on en arrive alors à Charlot, ou, pour se concentrer sur son homologue francophone, Hulot. J'avais évoqué il y a quelques semaines déjà l'enthousiasme convaincu que m'avait inspiré Les Vacances de monsieur Hulot, dont le talent avec lequel était mise en place l'intrusion de l'extravagance dans la sclérose sociétale ne pouvait que forcer le respect. Cependant, bien qu'un procédé similaire y semble repris sans grande spécificité, Le Grand Blond... en modifie un aspect fondamental, en ce sens que la bizarrerie du personnage de Tati laisse ici la place à la banalité de celui de Pierre Richard, laquelle finit par agir comme un miroir sur le milieu observé, en l'occurrence celui de l'espionnage international. Car tandis que les espions s'évertuent à suivre à la trace celui qu'ils pensent être la pièce maîtresse sur l'échiquier des relations internationales, le reluisant vernis qu'arborait cette institution à la réputation glorieuse s'effrite, laissant ainsi paraître l'affreuse monotonie qu'arbore le reflet tendu par ce violoniste quelconque, trouvé dans ce hall d'aéroport anonyme. La mythification disparaît, et les agents, de plus en plus ridicules, finissent, par mimétisme ou par soumission, par être subordonnés aux agissements du grand blond, dont la chaussure noire dépareillée, loin d'être une marque d'originalité, ne s'avère finalement être qu'une facétie amicale. En somme, l'organisation millimétrée finit par ne périr que du trop grand sérieux avec lequel elle aborde la banalité.


On me reprochera sans doute de pousser trop avant l'interprétation que je fais d'une comédie populaire ; eh bien ! sachez que je ne le reconnais aucunement. J'irai même plus loin, en concluant que ces faux-semblants sans cesse démolis ne peuvent mieux correspondre à un film d'espionnage, dont l'intérêt réside justement dans le jeu entre ce que l'on croit, ce que l'on sait et ce que l'on croit savoir. Entre la passion de l'envers et la déception de l'endroit, le grand blond balance, plie et fait rompre, tel le plus insignifiant roseau au milieu d'une mare d'absurdité.

Créée

le 28 avr. 2021

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Louis Perquin

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