Le western spaghetti, c'est déjà une nouvelle vision du western dit classique, dont l'âge d'or était des années 1930 à 1950, incarné par des réals tels que John Ford et des acteurs comme le charismatique John Wayne. À cela, le cinéma italien apportait une relecture d'un genre qui s'usait en déstructurant le manichéisme général (les protagonistes sont des grosses raclures), mais surtout apporte une vision morbide et désespérante de cette Amérique sauvage, où les cow-boys ne jouent pas de la gâchette en fonction de leur honneur, mais surtout sur des histoires d’argent, des histoires de vengeance... transformant un monde fantasmé en un univers néfaste, régi par la violence. D'ailleurs, le western spaghetti (pour les bons en tout cas) ne cherchent pas à glorifier la violence. C'est donc un sous-genre très codifié, même s'il laisse une certaine liberté à ses créateurs, il repose sur des mécanismes bien précis.
Si on peut considérer une Sainte Trinité des réalisateurs de westerns spaghettis, ce sont sans aucun doute les trois Sergio : la figure du genre est sans aucun doute Sergio Leone (Le bon, la brute et le truand, Il était une fois dans l'Ouest deux films représentatifs du genre et aujourd'hui considéré comme des chef d’œuvres), mais on trouve aussi Sergio Sollima (Colorado que je vous conseille fortement, Le Dernier face-à-Face) et Sergio Corbucci (Django, El Mercenario) qui nous intéresse ici puisque c'est lui qui nous a pondu Le Grand Silence dont il est question ici.
Sauf que, à mon sens, Le Grand Silence se démarque très fortement d'un western spaghetti classique.
Atypique par son décor déjà. Un western de neige, même si ça se fait pas mal, c'est peu courant, surtout à côté du nombre inimaginable de western dans le désert... du coup, ça nous donne droit à une jolie photographique, et un vent de fraîcheur (sans mauvais jeu de mot), qui contraste. Même si ça reste un univers morbide où il fait peu bon vivre.
Premièrement, il est intéressant d'observer qui obtient le rôle de "gentil" et "méchant". Alors, comme dit plus haut, ces notions sont discutables dans ce genre de film, mais ici les antagonistes sont les chasseurs de primes et les protagonistes sont les hors-la-loi, transformé par Corbucci en traqués. Les chasseurs deviennent alors des assassins, ils tuent pour de l'argent, le système prônant le fratricide, et amenant un monde gouverné par le meurtre.
Le personnage principal (Silence, incarné par un Jean-Louis Trintignant énigmatique) est alors un fourbe personnage : c'est un "vengeur" de hors-la-loi. Il tue les chasseurs de primes, mais dans la légalité (il attend que l'autre dégaine en premier pour compter cela comme de la légitime défense, et sinon il tire sur les mains). Mais c'est sans compter sur l'encore plus fourbe antagoniste (Klaus Kinski qui joue Trigrero), chasseur de prime avide -et donc meurtrier- qui s'empare de chaque proie, et qui derrière une figure hautaine (renforcé par la douceur de sa voix), se cache un monstre barbare, appliquant son arme sur les bandits et son langage orgueilleux sur les autres, faisant régner sa violence.
La violence du Grand Silence, elle est sans précédent. Si il y a bien une règle dans le western spaghetti, c'est que malgré tous les morts, ben ça fait pas de sang. Ici, c'est tout l'inverse. Bon, on n'est pas dans des explosions hémoglobines non plus, mais ça coule pas mal, et ça contraste terriblement dans le blanc de la neige. Et entre chasseurs de prime et hors-la-loi, les confrontations se font de plus en plus nombreuses et de plus en plus violentes, certains n'hésitant pas à bafouer leurs principes pour assouvir leur volonté.
Je parle bien sûr du shérif ( Frank Wolff) qui finit dans le lac (sous les coups de Tigrero), ou bien Silence qui dégaine le premier, lors de la bataille finale.
Et une telle accumulation de violence, pour un film atypique, ça débouche forcément sur un final atypique, et mémorable. Autant vous dire que si vous n'aviez toujours pas vu le film, il serait peut-être grand temps de partir, parce que de GROS GROS SPOILERS EN APPROCHE (venez pas vous plaindre après).
Dans le schéma général du western spaghetti, c'est très très souvent l'antagoniste qui gagne. Ici, c'est l'inverse. Ici, c'est Silence, qui "provoque" Tigrero en duel, en étant blessé, il finit par tenter de dégainer, mais est abattu par Tigrero. Sergio Corbucci joue avec ce stéréotype : celui du protagoniste quelque peu surhumain, qui surmonte tous les obstacles, même les plus improbables (on a eu Clint Eastwood dans Pour une Poignée de Dollar qui revient défoncer tout le monde sans pression après avoir subi la torture, on a eu Lee van Cleef dans Colorado qui survit pépère à du poison, et pire encore on a eu Franco Nero dans Django qui parvient à mitrailler 43 personnes oklm avec un simple pistolet et surtout des mains en sang). Alors, le spectateur, il se dit que le héros va se sortir facilement d'affaire, même s'il a du mal à voir comment. Et plus ça avance, plus il a des doutes. Évidemment que le héros va s'en sortir, mais faudrait pas que ça paraisse trop trop improbable non plus ! Et puis, lorsque le moment fatidique arrive, il assiste à un duel pitoyable, dans le sens où il n'y a aucun suspense. Et cette défaite laisse place à un massacre d'innocent (pour quelques sous). Ça y est, les méchants ont gagné, et il vont continuer à faire leur sale besogne un peu partout... (comble de l'ironie, ils attendront le printemps pour empocher la mise).
À noter que devant la noirceur de cette fin, les producteurs ont imposé à Corbucci une fin "un peu plus joyeuse". Le résultat ne s'est pas fait attendre : Silence et sauvé de justesse par un shérif qui réapparaît miraculeusement, et ses bobos se sont guéris tous seuls, et en plus il a pas été blessé lors du tir des méchants, et non, car il portait deux gantelets massifs ! Et voilà, l'histoire s'est résolue toute seule en 1 minute 30. Évidemment, c'est un foutage de gueule de Corbucci (et des autres acteurs qui s'en prennent à cœur joie), mais il est magistral par son improbabilité dans un tel scénario.
En résumé, Le Grand Silence est un western spaghetti qui se démarque de ses confrères : par ses décors, mais aussi par son utilisation de la violence, et surtout sa conclusion brusque et choquante. Un divertissement qui tente un autre portrait de l'Amérique souillée, la plongeant dans un pessimisme sans précédent. Jamais un film "sans prétention" n'a raconté avec tant de noirceur ceux que les autres font d'habitude sur un ton plus léger, ou invoquant l'humour noir. Et ça fait du bien, une conclusion qui se veut sérieuse.