*voix de River Song* Spoileeeeers

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Parce que oui, autant le Hobbit est un bon titre pour le bouquin où Bilbo occupe une position plus centrale et charnière, autant pour le film où il n'est au final guère plus mis en avant que le reste des leaders de la compagnie, un titre plus généraliste n'aurait pas forcément été outrageant.

En effet, on se rend assez vite compte du défi cinématographique posé : là où dans le Seigneur des Anneaux, les protagonistes évoluent par petits groupes de 2,3 ou 4 sur la majorité du trajet, (la communauté des 9 n'évoluant ensemble que très peu de temps) la compagnie du Hobbit se compose, elle, de 15 personnes (14 quand Gandalf va prendre l'air) sur la quasi totalité du voyage.
La conséquence immédiate et inévitable sans transformer la saga en série de 2-3 saisons est qu'il sera difficile de s'attarder sur chacun et de leur donner une profondeur similaire.
Il en résulte cette sensation de meublage de la moitié de la compagnie de Thorin, certains n'ayant pas 10 lignes de texte en 6h de film.
Jackson a donc, sciemment je pense, opté pour approfondir quelques personnages, les hissant au même rang d'importance que Bilbo ou Gandalf et totalement ignoré les autres. J'espère que le troisième volet verra d'autres individualités apparaitre parmi les Nains mais j'en doute, il y aura d'autres chats à fouetter.

Voilà pour la parenthèse profondeur, j'ai pu remarquer que c'était un des reproches récurrents et même si je suis d'accord, je confesse ne pas voir de solutions pour donner à 15 acteurs principaux un temps de jeu suffisant pour les rendre tous attachants sans pour autant sacrifier le reste de l'histoire. (à part un format série de plusieurs saisons, auquel cas je précommande d'avance !)

Pour ce qui est du film en lui-même il y a énormément à dire et je vais donc tenter de diviser ça en "chapitres"

1. L'empreinte visuelle.

La Terre du Milieu est un monde empli de magie, de paysages fabuleux et la Nouvelle-Zélande, bien que d'une beauté indescriptible, suffisait peut-être pour les paysages naturels d'Eriador, pour les Monts Brumeux ou les plaines du Rohan mais montre ses limites lorsqu'il faut dépeindre des paysages improbables sur notre bonne vieille Terre.
Mirkwood est de ceux-là et c'est dans cette forêt étouffante que l'appel au numérique s'est le plus fait sentir selon moi.
Une forêt souillée, malade, emplie d'arbres torturés, suintants et dégarnis, à part en faisant joujou dans les bois avec de l'uranium et revenir tourner dans 50 ans, je ne vois pas trop comment on pouvait faire autrement que surcharger de numérique.
Sauvez un arbre, modélisez-le en 3D.
Tout ça pour dire qu'on a beaucoup étalé l'argument du numérique sur la trop grande tartine du débat et même si j'avais été dérangé par certaines scènes du premier opus à cause de ça, je n'ai plus eu cette sensation plastique, froide et détachée avec le Hobbit 2.
Qu'est-ce qui a changé ? Et bien...mon cinéma s'est mis au HFR, là où le Hobbit 1 n'était disponible qu'en 2D et que je n'avais pas eu la curiosité de faire de nombreux kilomètres pour le trouver en 3D ou 3DHFR, cette fois j'ai pu voir les deux premiers dans les conditions "réelles" de conception et par Elbereth, ce que je regrette de n'avoir pas eu cette curiosité il y a un an.

A vous tous qui avez vu le film en 2D je dirai ceci : en fait, vous n'avez pas vu le Hobbit, vous avez vu un vague teaser de 3h car l'expérience change du tout au tout.
On passe d'un Azog qui, bien que magnifiquement réalisé crève l'écran dans le mauvais sens du terme en 2D à un Azog impossible à séparer de son environnement en 3D. Je persiste à dire que maquiller Manu Bennett et le laisser jouer en chair et en os aurait sans doute apporté davantage mais je concède que les scènes de poursuite à dos de Warg notamment auraient pu poser souci.
On passe surtout pour le premier film d'une scène à dos d'Aigle 2D à la limite de l'insipide avec la musique d'Howie seule pour nous maintenir dedans à une scène en 3D d'une bouleversante poésie. L'impression synthétique des Aigles disparait et on vole avec eux, on prend le vent dans le visage.

Les décors manufacturés sont également magnifiques, la ville d'Esgaroth est une grosse réussite visuelle. On a l'impression que tout y est tourné dans une vraie ville de pêcheurs et il ne manquait qu'un diffuseur d'essence de poisson dans la salle pour couronner l'ambiance.
Le royaume de Thranduil, plus sobre que la chatoyante Lorien reste néanmoins très impressionnant, ça manque de plans panoramiques pour appréhender la taille de l'endroit mais ça aurait à mon avis tué la sensation d'oppression qui doit aller de pair avec l'enfermement des Nains et l'attitude défensive du roi.

Globalement, à part la demeure de Beorn que j'ai trouvé assez pauvre, l'équipe de Jackson rend honneur à l'amour des descriptions de Tolkien en travaillant ses décors comme lui le faisait avec ses mots.

2. Le rythme

Un des gros points noirs du premier opus était le manque de rythme, ça avait également été le reproche fait à la communauté de l'anneau il y a 12 ans et c'est au final assez logique, les premiers films ayant une mission de présentation et démarrant à partir d'une situation de tranquillité, ils ne peuvent décemment se faire assaillir sur le seuil de Cul de Sac.
Néanmoins, ce second film accélère énormément, la compagnie tombe comme le disaient fort maladroitement les doubleurs français de Gandalf et Thorin "de Charybde en Scylla" et les situations de sécurité se font rares, multipliant les prétextes à fournir de l'action et de la précipitation.
On pourra déplorer quelques passages à vide où on se surprend à se rappeler qu'on a faim ou soif mais après quelques bouchées de pop corn bien chaud et d'eau fraiche, on y retourne.

Les scènes de combat sont parfois un peu brouillonnes mais globalement très bien chorégraphiées, Evangeline s'en sort très bien et Legolas nous montre qu'il savait déjà surfer avant Fort-Le-Cor.
La scène en FPS lors de la fuite en tonneau ne manquera pas de surprendre ou choquer par son ton mais d'impressionner par sa maitrise technique.

3. Le ton.

Là où le Hobbit 1 ne savait trop quelle carte jouer, ce second film a fait son choix.
Hormis quelques passages anormalement enfantins, Jackson joue la carte de l'épique sombre et sérieux qui a contribué au succès du Seigneur des Anneaux.
Cette fois, c'est officiel, les Nains peuvent avoir mal, ils saignent et ne sont plus d'apparence invulnérable. Ils peuvent par contre toujours chuter d'aussi haut sans que ça ne pose le moindre dommage à leur squelette de mithril.
On notera aussi cette magnifique scène où Bilbo prend conscience que l'anneau rend certes invisible mais que cela ne se fait pas sans prix : une scène impensable si Jackson avait opté pour un traitement moins mature plus proche de l'intention du bouquin par exemple.

L'épique au sens large monte car les pérégrinations de Gandalf ajoutent un autre enjeu au film que la seule reprise d'Erebor via ses découvertes (sur lesquelles je reviendrai plus bas)
Je suis à titre personnel soulagé que Peter Jackson ait pris cette direction.
Le Hobbit est un excellent ouvrage pour un public jeune mais aurait fait une désastreuse adaptation cinématographique sur le même ton dans les mains de Jackson.

4. Les écarts avec le livre.

Sujet sensible, la fidélité au bouquin...
C'est un débat impossible à conclure et qui revient à chaque fois qu'une œuvre littéraire est adaptée sur un média visuel ou audiovisuel. En ce qui me concerne, j'essaie de prendre du recul et d'utiliser mes maigres connaissances en littérature et cinéma pour analyser tout ça.
Les clés et les codes de ces deux média sont différents et à mon avis, exiger qu'on respecte l'adaptation à la virgule près serait aussi stupide que dangereux.
A l'inverse, trop broder ou trancher dans ce qui fait l'âme du livre viendra gêner la compréhension et la lecture des spectateurs qui sont d'abord passés par la case bouquin.
Et c'est après coup ce qui m'intrigue le plus au sujet de l'écart majeur avec le livre de cet opus : la révélation de Sauron.
Dans les écrits de Tolkien, Sauron est identifié un siècle avant les évènements du Hobbit et c'est le veto de Saroumane qui empêche le conseil blanc de prendre la forteresse de Dol Guldur d'assaut.
Une fois que Saroumane change d'avis (afin d'empêcher Sauron de voyager à sa guise vers les champs aux iris) Gandalf précipite la quete de Thorin afin de synchroniser les évènements et empêche l'alliance de Sauron et du dragon.

Or dans le film, la découverte si tardive de Sauron fait l'effet d'une improbable coïncidence et on peine à imaginer comment Jackson va pouvoir expliquer que Sauron ne vient pas prêter main-forte au dragon afin de s'en faire un allié.
Le siège de Dol Guldur n'est pas une entreprise qui se décide la veille du départ avec 2-3 tartines dans son sac et sans action tranchante contre Dol Guldur, le film ne fournira pas à Sauron la raison de son départ précipité vers l'Est pour rebâtir Barad Dur au Mordor.
Comme le montrait la scène du conseil Blanc du premier film, une paix de 400 ans est en place et ni Elrond, ni Saroumane ne semblent pressés d'y mettre fin, ce qui renforce l'idée qu'aucune armée ne peut être levée à court terme à part éventuellement celle de Thranduil mais on sait tous où elle sera à ce moment du récit.
Le siège de Dol Guldur étant au final très peu documenté, Jackson a pas mal de libertés possibles mais je redoute fortement la manière dont il compte traiter ça.

Un des autres écarts qui a fait couler de l'encre, c'est la présence de Legolas et Tauriel.
A ce sujet, je confesse ne pas du tout comprendre la levée de boucliers qui a suivi l'annonce.
Legolas étant le fils de Thranduil...où d'autre peut-il être à cette époque du troisième âge si ce n'est chez lui ?
Si le personnage de Legolas avait été créé et/ou développé à l'époque de la rédaction du Hobbit, il m'apparait évident qu'il y aurait figuré tout comme Elrond aurait figuré dans le film du Hobbit même s'il n'avait pas été mentionné dans le bouquin.
On ne peut pas éluder un roi, un seigneur ou un prince si on présente le royaume dans lequel ils vivent.

Au sujet de Tauriel, c'est une capitaine des gardes à la manière de Haldir en Lorien.
Même si il est inutile de parler de personnages secondaires comme des capitaines dans un bouquin pour enfants, il ne me semble pas surprenant (au contraire) d'en voir apparaitre dans une adaptation plus mature et réaliste de l’œuvre.
Cinématographiquement parlant, il est important d'avoir des figures de second plan qui se démarquent des simples figurants dans les lieux visités pour leur offrir de la consistance.
Haldir remplissait très bien ce rôle en Lorien, Lindir remplit ce rôle dans une certaine mesure à Fondcombe et il en fallait un au royaume sylvestre. Elle sert de relais pour transmettre au spectateur des informations qui ne peuvent pas émaner du roi ou de Legolas au sujet du folklore elfique notamment et de la rupture politique entre les "jeunes" Elfes et les Anciens comme Thranduil.

Et enfin, même si c'était dispensable, elle permet la création de deux des grands thèmes courtois très chers à Tolkien : les triangles amoureux et les amours tabous inter-raciaux. On se retrouve avec une photocopie à échelle réduite d'un mini-Aragorn et d'une Arwen des bois ou d'un petit Beren et d'une Luthien roturière.

5. Le dragon.

Oui, je n'ai parlé du dragon dans aucun des chapitres avant parce qu'à mon sens il mérite son chapitre à lui tout seul.
Je ne pourrai pas dire ce que ça donne en 2D parce qu'au risque de me répéter, ce film ne devrait pas exister en 2D, il y a trop trop trop de pertes mais en 3D, j'ai pris la plus grosse claque dans la gueule par un monstre numérique tous médias confondus. S'il y avait un prix nobel de la 3D, l'équipe qui l'a réalisé le mérite pour les 3 prochaines années au moins.
Étant moi-même graphiste, après avoir vu ça, je ne peux qu'envisager une reconversion dans le curage de nez tant c'est parfait. Entre la modélisation, l'animation, les effets spéciaux, on a vraiment l'impression que ce dragon existe et a été engagé comme acteur, qu'il a touché son cachet après le film avant de regagner sa montagne.

Le seul bemol étant que le lip sync ayant été calqué sur la VO, on voit parfois sa bouche articuler étrangement un son qui n'a pas la bonne "forme" mais bon voilà, si j'en suis à chipoter sur ça c'est vraiment que le reste est irréprochable.
On sent le poids de la bête dans ses mouvements, la vie dans le regard qui atteint et surpasse celle de Gollum (qui est particulièrement surjoué par rapport au Seigneur des anneaux, je trouve, on dirait par moments une démo technique pour les progrès de la mocap)

En bref : Best dragon ever.

6. Conclusion (Tl:dr)

- Le Hobbit est un formidable film d'action et de fantasy à défaut d'être une formidable adaptation du bouquin.
Peter Jackson s'amuse en Terre du Milieu et cela se sent même s'il est pour cela prêt à faire des entorses à des évènements majeurs du troisième âge.
- C'est un film à ne pas voir en 2D, je suis triste pour les réfractaires à la 3D car ils passeront à côté de l'essentiel visuellement parlant.
- Les personnages sont inégaux dans leur traitement de par la pléthore de protagonistes et on se surprendra à essayer de compter les mots prononcés par Bombur ou Bofur et avoir finalement assez de doigts.
- Ce deuxième film est plus sombre et abandonne quasi totalement ses prétentions de film familial pour verser dans le mature, sombre et épique du Seigneur des Anneaux, la légèreté intellectuelle des Nains en moins.
- Jackson prend une route à 180° de celle de Tolkien au sujet du nécromancien en le dévoilant trop tardivement comme étant Sauron, annihilant toute possibilité d'une action préparée et mûrie contre lui, restera à voir par quel détour il retrouve le "bon chemin".
- Le dragon est à mon sens la plus grosse réussite numérique de cette fin d'année et la plus aboutie techniquement des créatures de cinéma de tous les temps. Si j'étais une dragonne, j'aurais changé plusieurs fois de culotte.
- Les scènes d'action, quoiqu'un peu brouillonnes par moment (caméras trop proches, mouvements illisibles) sont très bien chorégraphiées et les mouvements quelque peu surnaturels des Elfes ont gagné en réalisme par rapport au Seigneur des Anneaux.
- La VF manque un peu de percutant par moments, surtout en ce qui concerne le doubleur de Bilbo, j'espère pouvoir le revoir en VO 3DHFR pour être à 100% dans les bonnes conditions de visionnage.
- Les seconds rôles remplissent tous leur cahier des charges à part Bard qui à mon sens fait un peu trop doublure humaine de Legolas. J'adore Evans mais je ne suis pas convaincu qu'il était le mieux taillé pour ce rôle.
- Et enfin, je ne sais pas si je l'ai déjà mentionné mais le dragon est juste parfait !

Ah et j'oubliais...n'allez pas le voir en 2D !

Merci à ceux qui ont lu jusqu'au bout :)
Oiolosse
7
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le 13 déc. 2013

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Oiolosse

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