Déçu par le semi-échec à sa sortie du pourtant génial Peau d'âne, Demy accepte le projet d'un producteur anglais qui monte de réaliser un film où Donovan chanterait et tiendrait le premier rôle. Faisant face à l'emploi du temps serré du chanteur pop, il réécrit le scénario pour ne faire du joueur de flûte qu'un personnage secondaire.

Le conte devient alors prétexte à une reconstitution historique à la fois soignée, minutieuse et visuellement chatoyante, baroque, et à une étude de mœurs où Demy se fait critique envers le monde des hommes. C'est l'inquisition et un juif sera persécuté. On admire les costumes, superbes et les décors raffinés (une vraie ville médiévale allemande), on se prête à la gravité du jeu, entre reconstitution funèbre des grandes cérémonies bourgeoises et intrigues religieuses à la solde du pape avignonnais. Le casting est de bonne qualité et le scénario se laisse suivre malgré des problèmes de rythme certains.

Quelques séquences font mouche, notamment le mariage ou la fuite des rats, ainsi que le final du film, qu'on rapprochera du contemporain "Devils" de Ken Russell, auquel le film fait penser (pour ses thèmes et pour une partie de son esthétique à la fois kitsch et raffinée). Mais si la mise en scène, belle et fluide, tout en mouvements élégants de caméra et longs plans séquences peut séduire, il manque tout de même au film le sésame des grands Demy : le sujet semble trop masculin (les femmes sont presque absentes), les chansons palotes (Donovan est sympathique mais ce n'est pas Legrand ou Demy en termes de song-writing), et l'ensemble parfois un peu mécanique et vide d'âme - même si la fin, étonnamment cruelle, démontre une vraie implication du cinéaste dans le film.

Bref, pas un grand Demy mais un bon petit film, intelligent, avec un beau discours sur la tolérance et sur le pouvoir de la musique et de l'art, derrière lequel on devine quelques marottes du cinéaste temporairement exilé, et qui s'apprête à traverser le désert jusqu'à son retour en force de 1982. Dans le genre peste-inquisition on préférera tout de même le monumental film de Ken Russell.
Krokodebil
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Jacques Demy, des films "en chanté(s)"

Créée

le 21 juil. 2013

Critique lue 1K fois

11 j'aime

Krokodebil

Écrit par

Critique lue 1K fois

11

D'autres avis sur Le Joueur de flûte

Le Joueur de flûte
Krokodebil
7

La peste, c'est pas du pipeau.

Déçu par le semi-échec à sa sortie du pourtant génial Peau d'âne, Demy accepte le projet d'un producteur anglais qui monte de réaliser un film où Donovan chanterait et tiendrait le premier rôle...

le 21 juil. 2013

11 j'aime

Le Joueur de flûte
EricDebarnot
4

Assez raté...

Film oublié, presque honteux au sein de la filmographie de Demy, "le Joueur de Flûte" est un drôle d'objet, pas franchement ridicule, mais quand même assez raté. Curieusement, alors qu'on pouvait...

le 29 déc. 2013

5 j'aime

3

Le Joueur de flûte
constancepillerault
7

Critique de Le Joueur de flûte par constancepillerault

Je n'accroche pas particulièrement au cinéma de Demy, mais j'aime bien ce film. Sans doute à cause du côté conte médiéval, bien rendu, et de la musique (ou du moins des chansons) de Donovan, chanteur...

le 1 sept. 2020

3 j'aime

Du même critique

Rush
Krokodebil
8

Le bec de lièvre et la tortu(rbo).

Pourquoi aimé-je le cinéma ? On devrait se poser cette question plus souvent. Elle m'est venue à l'esprit très rapidement devant ce film. Avec une réponse possible. J'ai d'ailleurs longtemps pensé...

le 29 sept. 2013

126 j'aime

12

Mister Babadook
Krokodebil
7

Mother, son, wicked ghost.

La cinéma australien au féminin est fécond en portraits de femmes un peu paumées, ou complètement névrosées. Il y a les héroïnes têtues et déterminées de Jane Campion, les monstres effrayants (Animal...

le 31 juil. 2014

102 j'aime

10