Je dois avouer que ce film a quelque chose de fascinant et d'irrémédiablement daté à la fois. C'est l'essence même du réalisme poétique, et on sent que chaque plan, chaque dialogue de Prévert, a été ciselé pour frapper l'imaginaire. Et ça marche, en grande partie.
- Je me suis laissé prendre par cette ambiance lourde, presque suffocante, dès le début. Être enfermé avec François (le grand Jean Gabin) dans cette chambre, assiégé par la police après le meurtre, c'est une sacrée idée de mise en scène. Le film utilise brillamment le flashback comme une mécanique fatale : chaque souvenir est un clou de plus dans le cercueil de François. Je vois tout ce qui l'a mené là, et je ne peux qu'assister, impuissant, à la lente montée du jour et à sa descente aux enfers. L'utilisation du décor d'Alexandre Trauner, notamment cette chambre aux quatre murs qui renforce l'idée de claustrophobie et d'enfermement du destin, est une masterclass.
- Mais si je ne peux pas lui donner un 8, voire plus, c'est parce que l'ensemble, malgré sa beauté formelle, m'a semblé parfois un peu trop théâtral et figé. Il y a une certaine lourdeur dans le traitement de la fatalité, comme si l'on m'assénait que tout est écrit d'avance. J'ai eu du mal à croire à l'histoire d'amour avec Françoise (Jacqueline Laurent) ; elle est très effacée et la romance me semble plus un ressort scénaristique pour provoquer le drame qu'une véritable passion.
- En revanche, Jules Berry dans le rôle de Valentin est un manipulateur absolument génial, que j'adore détester. Et que dire d'Arletty ? Elle apporte une lumière désabusée, une force et une fragilité inouïes au personnage de Clara. Ses scènes avec Gabin sont d'une intensité incroyable, et pour moi, elle est la vraie surprise et la meilleure performance du film.
Conclusion
- Je reconnais sans hésiter l'importance historique et l'excellence technique du film (la photographie de Curt Courant est magnifique). C'est un grand moment de cinéma que je recommande, surtout pour l'ambiance et le trio Gabin/Berry/Arletty. Mais le rythme lent et le côté trop désespéré du destin, sans réelle nuance, m'empêchent d'être totalement emporté. C'est un 7/10 solide : très bon, mais pas un coup de cœur total.