Les infortunes de la vertu ou l'illustration en images de la vision sadienne du monde.

Film profondément engagé et sombre d'Yves Boisset. Ici, tout le monde est coupable et les seuls innocents sont baladés, secoués et en prennent pour leur grade. Cette œuvre est presque une illustration du précepte de vie sadien qui consiste à voir le monde vicieux et à devoir suivre le chemin du vice pour survivre. C'est exactement les conclusions auquel il est possible de parvenir dès les premières secondes du thème du générique de fin. Mettant à jour les différentes collusions entre hommes politiques, hommes d'affaires, hauts magistrats et le gratin de la police, ce film dérange et ose une politique de dénonciation de l'entraide de tout ce gratin, dans un but de partage clair d'une certaine main-mise sur de puissants intérêts politico-économiques. Cela pourrait être vu comme une énième théorie du complot mais c'est pourtant une vision bien lucide de la vie politique, qu'elle soit française ou autre. Le gratin des affaires, de la magistrature et de la police agissent main dans la main pour garantir les intérêts des premiers, alors soutenus et blanchis par les seconds et troisièmes. (Quand ces derniers ne profitent pas d'une petite bouchée du gâteau) La thématique principale du film est donc celle-ci : face au bulldozer de défense mis en place par cette collusion super-puissante, point de salut. On s'écrase ou on est écrasé. Soit on s'écrase et alors c'est la mutation / promotion, voir même le renvoi, suite à l'invention de preuves ou autres. Ou alors on combat et on s'acharne et alors là, c'est l'écrasement. Définitif, parfois. Il suffit de penser à quelques personnalités : Coluche (à cause de sa trop grande popularité pour les élections à venir), Pierre Bérégovoy (avec sa liste de personnalités politiques qui seraient corrompues, son suicide arrangeais alors beaucoup de gens) Evidemment, ce film n'as rien à voir avec ces deux morts plus que suspectes, Coluche étant mort en 1986 et Pierre Bérégovoy en 1993... Mais le principe reste le même. On peux d'ailleurs regretter que Boisset prenne des gants et annonce à la fin du film que les événements sont imaginaires. (Crainte quelque peu justifiée puisque, lors de la sortie du film, l'emploi de l'acronyme SAC - Service d'action civique, sera interdit. Le SAC pouvant être vue comme une "police parallèle" des gaullistes...)

Pour en revenir au film, Patrick Dewaere livre, une fois encore, une prestation éblouissante, à la hauteur de son immense talent d'acteur. Yves Boisset s'est d'ailleurs rendu compte, sur ce tournage, que Dewaere n'interprète pas un rôle mais l'incarne réellement, le vit jusqu'au bout. (Ce qui aura des conséquences importantes sur la vie de l'acteur, qui connaitra des phases de dépression avant de se suicider en 1982, après que sa compagne l'ai quitté pour Coluche) On remarquera avec délectation l'interprétation tout en finesse du nonchalant inspecteur Marec, par Phillipe Léotard, un autre acteur qui, tel Dewaere, ne sera pas vraiment récompensé de son grand talent... On peux également noter la présence d'un second rôle assez fréquent du cinéma français, l'atypique Jean Bouise. Yves Boisset, connu pour ses positions engagées et étant un des premiers à oser aborder la guerre d'Algérie au cinéma (R.A.S en 1973), nous livre ici un pamphlet décapant, sombre et inquiétant, mais pourtant d'une grande lucidité, qui ne vire ni dans l'hystérie complotiste, ni dans le mélodrame mielleux. Au contraire, Le Juge Fayard dit le Sheriff est un film qui en dit long sur l'organisation de nos sociétés et sur l'humanité en général. Et c'est pas vraiment beau à voir.
Gondebaude
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le 23 mai 2013

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Gondebaude

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