Ordonnateur d’un cinéma aux accents déjà bien personnel, Christophe Honoré s’adonne cette fois-ci à un exercice de totale mise à nu dans l’espoir, sans doute, d’exorciser quelques traumas anciens : avec Le Lycéen, il se remémore la mort de son père et le désarroi émotionnel ressenti par celui qui n’était alors qu’adolescent. Abrasif, violent mais jamais plombant ou impudique, ce passé revisité par le cinéaste lui permet d’esquisser les contours sensibles d’un cheminement intérieur, évoluant de la douleur vers la lumière, du deuil vers l’apprentissage sentimental, vers une vie retrouvée.


De par sa structure en trois mouvements, Le Lycéen rappelle Les chansons d’amour (2007) qui déclinait en chapitres successifs (le départ, l’absence, le retour) la trajectoire de son personnage masculin (Louis Garrel) affrontant à l’époque le spectre de ses amours défuntes avant de succomber à d’autres appels du désir. Les fantômes de Christophe Honoré sont toujours présents, figurant ce manque que l’on retrouve dans le journal intime de Lucas, déstabilisant celui qui est déjà en proie aux errances du passage à l’âge adulte. Le film bifurquera d’ailleurs vers le récit d’apprentissage, dans sa seconde partie, lorsque Lucas, dans le sillage de son grand frère, voudra «* plaire, aimer et courir vite* » afin de se sentir encore un peu vivant. «* Notre vie d’avant est finie, si c’est comme ça moi je veux que tout change* ». Si la volonté de changement est sûrement un réflexe de fuite pour l’adolescent, le deuil est montré par Honoré comme une opportunité à saisir afin de devenir autre chose : se réinventer afin de ne pas disparaitre. C'est ce que la mise en scène nous propose de découvrir, en épousant le corps et le point de vue de l’adolescent, en nous invitant à regarder et ressentir les émotions qui le traversent.


Bien aidé par la prestation toute en nuances de Paul Kircher, Christophe Honoré nous offre ainsi un portrait contrasté de l’adolescent, bouleversant à bien des égards mais également déconcertant par l’impulsivité et la radicalité de son personnage. La mort du père, interprété par le cinéaste lui-même, donne au fils l’impression d’être particulier ou différent des autres, accentuant ainsi ce sentiment de supériorité propre à la jeunesse : « je sais des choses dont tu n’as même pas idée », dira naïvement Lucas à son ainé. Son errance va ainsi surgir des dialogues, silences ou sourires ambigus que le cinéaste va capter avec tendresse, bienveillance, sans jamais endosser le point de vue surplombant de l’adulte facilement moraliste. Une tendresse dans la mise en scène qui permet surtout de creuser finement le deuil et ses ambiguïtés : si la mort du père a brisé la vie de Lucas, elle l’a également projetée vers l’avant, vers un futur redessiné.


Un paradoxe que Christophe Honoré exprime remarquablement, passant du frontal (en filmant les corps crispés, les visages fatigués...) au sensible (en jouant des ellipses et du montage alterné pour entremêler notamment les temporalités), afin de faire émerger des émotions franches et contrastées, passant de l’atonie cafardeuse à la douce euphorie des premières expériences. Si le film se disperse parfois (comme lors de son dénouement) ou flirte avec le mièvre le temps d’une chanson de Sylvie Vartan, il parvient néanmoins à explorer finement la complexité de ces moments évoluant sur le fil, entre tragédie et légèreté. Il explore cet équilibre instable où se tiennent des personnages en proie à des émotions contradictoires et où la famille est autant source d’angoisse que la ressource ultime face aux affres de l’existence. C’est ce que résume finement cette très belle scène qui voit les personnages rechercher la musique à passer lors de l’enterrement : les notes de musiques dansantes provoquent un décalage qui amuse un premier temps, avant de raviver des souvenirs évidemment douloureux. Une démarche familiale éprouvante, certes, mais qui offre à ces membres la chaleur d’un soutien dont les vertus cicatrisantes se feront sentir au long court.


Ce sont ces sursauts délicats, ces imperceptibles glissements d’un état à un autre, qui font la véritable force du film. La mort du père a transformé le réel en quelque chose de dangereux, piégeant l’individu dans sa douleur. Pour s’en extraire, pour considérer de nouveau le réel comme un endroit vivable, il faudra plusieurs moments fondateurs, peut-être plusieurs renaissances : lorsque Lucas, à bout de souffle, se mure dans le silence, c’est sa mère qui prend le relai de la parole et insuffle enfin un peu de vie, un peu d’envie. Si le manque existe toujours, il n’empêche plus la lumière et les sourires d’atteindre les visages endeuillés.

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