Petit bijou créatif insolemment précurseur et débridé de 1958, la diffusion du chat fantôme à l'Étrange Festival 2005 survient 25 ans après sa dernière diffusion à Chaillot (dixit Max Tessier venu tout exprès se raviver les mirettes et se remémorer un bon souvenir, je suppose). Ce pur film de fantôme, si il est plus ou moins volontairement structuré sur un double flash back qui peut finalement sembler inutile voir commandé par la production, parvient par ce procédé bien connu à créer plusieurs changements d'ambiance tout à fait particuliers et un ensemble par le fait encore plus extravagant, dont l'ultime "happy end" d'un ridicule télévisuel à mourir, aux antipodes de l'étrangeté qui l'a précédé, ne fait que compléter les surprises qui attendent le spectateur, sonnant même comme une magnifique cerise finale prise au second degré.

Après une ouverture nocturne dans un hôpital, aussi froide que prometteuse, par un plan séquence original et audacieux sur un ton très typé Giallo à la Argento et un joli noir et blanc lisse et clinique, survient déjà un premier flash back présenté façon "Twilight zone" qui nous invite à découvrir une maison hantée précédée d'une arrivée en voiture étiquetée "Shining sans moyen". S'en suit le passage obligé de la découverte du lieu maudit et tout ce qui fait bien comprendre que cette maison n'est pas nette, dans un style narratif rappelant tous les clichés inhérents aux belles heures du genre et d'Allan Poe en particulier, avec pour appui un noir et blanc granuleux et contrasté adéquatement couplé aux gémissements symphoniques de violons poussiéreux et une caméra curieuse de créer des plans d'ambiance chargés en mystère et en saleté. Il n'est pourtant pas question de trop s'attarder et de rester statique. A peine le pas du portail passé, une Sadako centenaire, qui elle ne se fait pas attendre 45 minutes minimum avant de frapper, commence à traîner sa carcasse dans la demeure et à persécuter la femme du médecin lors d'apparitions des plus convaincantes, reléguant les gamins fantômes modernes au rang de jeunes pousses.

Par le biais d'une vieille mémoire pieuse du village, le film nous mène alors vers son deuxième flash back dans un passé féodal bien plus lointain encore. Dès lors et à l'inverse de la logique conventionnelle, ce film dans le film passe à la couleur par un fondu sur des fleurs blanches qui ouvrira et refermera de très belle manière ce chapitre le plus conséquent. Par son hystérie et son orgueil caricatural, le maître de la demeure annonce parfaitement l'ambiance plus décalée et fantasmagorique encore qui va terminer de mener cette ghost story vers quelques sommets créatifs sans négliger un instant la crédibilité de son ambiance et le soin apporté à ses cadrages d'autant plus flamboyants que les couleurs y jaillissent avec générosité. Au cœur d'un jardin et d'une maison aérés, propres et paisibles, typique du Jidai Geki en somme, la folie meurtrière s'insinue peu à peu. Les apparitions des esprits singuliers qui peuplent un à un la maison, le chat fantôme et ses possessions à la gestuelle précise et désarticulée directement tirée du théâtre traditionnel, sa magnifique présence, ses pouvoirs de "Puppet Master", l'inévitable escalade vers la tragédie macabre collective, les inventions visuelles comme les surimpressions de visage géant dans le décor nocturne, les cadrages qui s'échappent pudiquement à chaque moment d'insoutenable violence, le sang qui infiltre les murs, tout dans ce chat fantôme contribue à l'enthousiasme et balaie les préjugés sur ses quelques approximations (d'interprétation avant tout), son âge certain et son budget très serré. Le chat fantôme déborde d'idées créatives et généreuses.

Nakagawa réussit au final un véritable tour de force surréaliste qui n'est pas sans rappeler dans ses instants les plus fous le chaos d'un House tout en s'installant dans un contexte stricte de production, (presque) conclu par un duel au sabre à peine montré qui continue de jouer sur les ombres, les passages agonisants des protagonistes et se termine par un magnifique travelling s'échouant sur les fleurs blanches de départ, puis concluant (réellement) par un autre final grand-guignol qui détruit tout dans un joyeux lâcher de poncifs. Un bien bel objet enthousiaste et généreux, tout autant classique, engoncé et désarticulé à la fois, qu'envoûtant, anticonformiste et libéré.
drélium
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le 5 août 2011

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drélium

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