Alors c’est vrai, on commence maintenant à en avoir quelques uns de ces films qui entendent profiter de l’aspiration du « Senna » d’Asif Kapadia pour nous montrer toute la beauté et la noblesse de la course automobile. Mais plus que le nombre, c’est la répétitivité du modèle qui interpelle. Car de « McLaren » à « Rush », à chaque fois c’est toujours la sacro-sainte recette kapadienne qu’on nous ressert : deux rivaux que tout oppose mais qui apprennent ensemble à se dépasser et à dépasser leur sport, quitte à devoir frôler la mort. Et au vu de son synopsis, il était évident que ce « Le Mans 66 » n’entendait pas déroger à la règle. Son titre original disait d’ailleurs déjà tout. « Ford v. Ferrari. » Oui, c’est bon, je crois qu’on a tous bien compris l’idée : pas de révolution en vue…


Du coup on pourrait se poser une question ma foi toute légitime. Et cette question ce serait : « à quoi bon ? »
A quoi bon refaire ce qui a déjà été fait ?
A quoi bon proposer ce qu’on connait déjà ?
Avant même de rentrer dans la salle – et sans rien en avoir vu ou lu de plus que le synopsis – je savais déjà ce qui allait être raconté et montré. J’avais déjà tout le schéma narratif en tête. Je savais déjà comment tout cela avait finir. En fait on le savait déjà tous…
Alors oui, à quoi bon ?


Bah c’est tout bête mais, me concernant, tout est dans le titre de ma critique.
J’y suis allé parce que j’avais envie que ça vibre un peu sur la piste.
Et ça a vibré.


Pour moi dire cela c’est dire l’essentiel.
Dès que ce film nous engage sur une piste, tout le dispositif formel déployé est au service des sensations de la course. Rythmique des cuts pensée en fonction de la musicalité des moteurs. Plans serrés à outrances pour observer la bête de métal et son pilote en train d’éprouver le bitume. Cadres à fleur de route pour accentuer les sensations de vitesse. Alternance astucieuse entre des plans fixés sur le véhicule et des plans fixes dans l’espace afin de bien accentuer les effets de mouvements et de déplacements. Chaque course est une partition méticuleusement orchestrée. Elles sont toutes très soignées plastiquement et savent à la fois rendre honneur au sport, à la belle mécanique mais aussi à une époque bien particulière, celle des années 1960.
En cela « Le Mans 66 » n’a pas à rougir de ses prédécesseurs, qu’il s’agisse de « Senna », de « Rush » ou bien encore de « McLaren »…
Et l’essentiel, pour moi, il se trouve là.
Le reste n’est que secondaire.
Ou plutôt non : je dirais plutôt que c’est là que le reste doit savoir ne pas interférer.


Parce qu’en effet, un film sur la course ne peut pas se réduire qu’à de la course.
Un film de course c’est avant tout un film d’action. Et de la bonne action, c’est quand celle-ci se pose comme la résolution d’une tension. Il faut savoir tendre avant de détendre. Il faut savoir prendre le temps de monter le tremplin avant de le dévaler. Et surtout, il faut savoir sentir quand le réservoir est vide – quand la pente est finie – afin d’instaurer un moment de pause et de plénitude avant de faire remonter la pression.
C’est peut-être d’ailleurs sur ce plan là que le film de James Mangold montre le plus ses limites par rapport à ses illustres prédécesseurs…


Opposer Senna à Prost ou Lauda à Hunt, c’était vouloir opposer de grands sportifs.
Dans ce « Le Mans 66 » ce sont des industriels qu’on oppose. Et même s’il y a bien entre Ford et Ferrari l’expression de deux philosophies bien distinctes, j’avoue pour ma part avoir beaucoup plus de mal à m’enthousiasmer pour ce qui reste avant tout une guerre d’ego entre gros riches.
Alors certes, ce film a l’intelligence de contourner le problème en se focalisant très vite sur les trajectoires personnelles des pilotes et des ingénieurs, transposant ainsi le dualisme central vers une opposition davantage axée sur l’artisan face le patron ; sur ceux du bas qui font les miracles et ceux du haut qui les rendent financièrement possibles. Mais quand bien même ce choix permet de ramener les enjeux plus près des hommes et des pistes, il n’empêche pas pour autant l’excitation régulière d’une certaine fibre patriotique – une ode chantée à l’industrie et au savoir-faire américain – à laquelle au final je ne goûte que fort peu…


Mais tant pis au fond si l’esprit propagandiste et le placement de produit cocacolesque n’est jamais bien loin. Tant pis aussi si on ne semble que très peu se soucier du fait que parfois la team Miles / Shelby s’est permis quelques coups bas pour gagner. Et puis tant pis enfin s’il y a au fond quelque-chose d’assez anachronique à faire les éloges des grosses bagnoles qui sucent 60 litres au 100 à une époque comme la nôtre où la transition écologique pose question. Non, ce qui compte, au bout de toute chose, ça reste que ce film ait su me faire vibrer.


En somme donc, sans être extraordinaire, sans être révolutionnaire, « Le Mans 66 » a su faire le boulot me concernant, et il a su le faire fort proprement. Alors c’est vrai qu’on pourra lui reprocher d’user la corde qu’il s’est plu lui-même à exploiter, c’est vrai. Mais bon, un film bien ficelé, moi, de nos jours, j’avoue que je ne crache pas dessus…

lhomme-grenouille
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le 15 nov. 2019

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