Le Miroir
7.6
Le Miroir

Film de Jafar Panahi (1997)

Dès lors, le film se dédouble et, en basculant dans la réalité – Jafar Panahi et son équipe décident de continuer à suivre la petite Mina à son insu, d'autant plus qu'elle a conservé sur elle un micro – devient effectivement le reflet de la première partie, mêlant fiction et réel jusqu'à perdre et entêter le spectateur. L'idée de double qui sous-tend le projet n'est pas nouvelle chez le réalisateur de Sang et or, puisque, devant travailler dans la clandestinité, il met souvent en place deux équipes, une officielle qui est un leurre et une officieuse chargée du véritable tournage. Celui qui dénonce depuis ses débuts les inégalités de la société persane et les mauvaises conditions faites aux femmes (Le Cercle et Hors jeu) aime à planter sa caméra au cœur de l'agitation et du tumulte de Téhéran. Avec Le Miroir, nous ne quittons jamais les artères bruyantes et encombrées de la capitale, où passer d'un trottoir à son opposé relève du défi pour une petite fille pugnace, tentant de retrouver son chemin. Les rencontres faites par Mina servent de prétextes, sur le ton léger de la comédie, à dresser l'état des lieux. Le constat est d'évidence accablant : dans les bus, les femmes n'ont pas droit de monter à l'avant et sont ainsi cantonnées sur les sièges arrière ; les agents de police imposent leur autorité aux carrefours et les contrevenants perdent des heures à parlementer et à marchander la restitution de leurs papiers. Vu de la hauteur d'une gamine débrouillarde, poursuivant sans relâche son objectif, cela pourrait n'être qu'un joyeux et tonitruant foutoir. Mais on comprend que le parcours semé d'embûches de Mina, qui va même jusqu'à être stoppé pour mieux redémarrer, permettant du coup à Panahi de mettre à profit toutes les ressources de la technique – en désynchronisant le son et l'image – est au final la métaphore de la société iranienne contemporaine, peinant à avancer mais avançant quand même.

La merveilleuse fable du Miroir, brisé puis recollé sous nos yeux ébahis, après des années de difficultés pour son réalisateur, atteste pourtant du talent créatif de celui-ci, remplaçant l'absence d'autorisation et de moyens par une invention débordante et jubilatoire, nous conduisant de manière ludique et sans le moindre artifice à entrer de plain-pied dans la vie quotidienne des habitants de Téhéran.
PatrickBraganti
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le 20 janv. 2012

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