Un élève en échec,

Mauvais devant l’Eternel

À qui pousseraient soudain des ailes,

Ça n’existe pas, ça n’existe pas !


Un enseignant impliqué, dévoué, passionné,

Pas ronchon, pas grognon, pas félon,

Ça n’existe pas, ça n’existe pas !


Des parents attentifs, positifs, participatifs,

Qui donnent la main aux enseignants, tout en ne lâchant pas la bride sur le cou de leurs grands petits,

Ça n’existe pas, ça n’existe pas !


Une classe silencieuse, respectueuse, heureuse,

Constituée d’élèves accrochés, intéressés, soudés,

Ça n’existe pas, ça n’existe pas !


Et pourquoi pas ?!…


Oui, pourquoi pas ? C’est pourtant bien le petit miracle, répété sur la durée d’une année et années après années, dont nous rend témoins Jérémie Fontanieu, l’homme orchestre de ce documentaire : à la fois réalisateur, scénariste, enseignant et professeur principal de la classe qui va se trouver filmée pendant une année scolaire. Flanqué de son collègue de Mathématiques, David Benoît, qui participe à cette expérience diffuse sur la France entière et joliment nommée « Réconciliation », l’homme, tonique, encore jeune, enseigne les Sciences Sociales en Terminale ES3, au Lycée Eugène Delacroix, à Drancy. Les classes « Réconciliation » rassemblent des élèves initialement en échec massif, mais qui s’engagent, ainsi que leurs parents, à se mettre au travail, à faire confiance aux enseignants et à suivre les conseils prodigués. Trois axes qui devraient être systématiquement suivis et qui devraient paraître évidents. Mais tous savent que, sauf exception, tel n’est pas le cas. S’il faut une expérience pour en venir à se « réconcilier » avec ces fondamentaux, et du même coup avec l’institution, la société, la culture, pourquoi pas ?!…

Car, loin de ce que pouvaient donner à voir Entre les murs (2008), La Vie scolaire (2019) ou, dernièrement et outre-Rhin, La Salle des profs (2023), le miracle opère. Lors d’une conversation avec un parent, Monsieur Fontanieu, ainsi que le désignent ses élèves, énonce cette requête intéressante : « Je vous demande de me croire. En juin, devant le succès de votre enfant, vous me croirez. Je sais que ce n’est pas évident pour vous, mais je vous demande de me croire maintenant ». Surprenant resurgissement de la « croyance » dans un contexte résolument laïque. Et pourtant… Le moindre cheminement commun est-il envisageable sans une adhésion des deux partis ? Adhésion, croyance, les réalités psychiques procèdent en réalité du même mouvement. Et, de fait, en juin, comme chaque année, chaque élève de la classe « Réconciliation » de Monsieur Fontanieu sera reçu au Baccalauréat. Succès général qui ne laisse personne sur le côté et unit tous les acteurs et témoins de ce sauvetage dans une sorte de grande fraternité. Une grande réunion festive se tiendra, donnant la parole à chacun, en un beau bouquet de ressentis et de gratitudes quant à cette expérience. Réunion à laquelle la troupe de plus en plus nombreuse des anciens assiste, preuve de la profondeur et de l’authenticité du lien créé.

Auparavant, au fil de l’année, même dans les jours les plus tristes et les plus froids de l’hiver, le filmage très inventif, cadrant la vie scolaire jusque dans ses moindres détails, et le montage très tonique, emmené par une musique électronique dynamique et pulsée, auront recueilli le redressement des corps, les regards retrouvant une droiture, les visages un sourire. À l’approche de Noël, la classe et ses enseignants fêtent le solstice d’hiver en rejoignant une grande fête foraine. Les grands ados, au seuil de l’âge adulte, en rapportent fièrement une grande peluche, gagnée à l’un des jeux proposés. C’est ainsi qu’un coquet dragon noir rejoint, sur le haut d’une armoire de la classe, une licorne rose qui semblait attendre son prince charmant. Et l’on se dit que, comme les chimères tout droit échappées des comptines de Desnos, ces classes affirmant hautement et avec bonheur la possibilité d’un succès scolaire sont aussi décalées, sur le grand navire Éducation Nationale de plus en plus abandonné par les choix financiers des gouvernements actuels, que ces peluches colorées rappelant innocemment, au cœur d’un monde de plus en plus sombre, la promesse d’un bonheur. Promesse qui sera tenue, ce qui est admirable, et infiniment régénérant.



Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/le-monde-est-a-eux-film-jeremie-fontanieu-avis-10067574/?fbclid=IwAR0ZVYwh0uuxQQ0vZHhx8wvDHt67rI6HI8c60H-F1l9cgPF4B8WHEf269HY_aem_AYcoW57Te1bGCAkM6rmoZYHOpg7Q9wrp1d7Zfy8GdTcvJ7lr9TOvp4p7hm0a05S8CEM

AnneSchneider
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le 24 mars 2024

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Anne Schneider

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