Jean-Jacques Annaud réussit ici un tour de force, et la récente restauration 4K du film lui fait honneur : interroger l’époque médiévale, la foi et la période intolérante de l’Inquisition, au travers aux codes du whodunit. Le Nom de la Rose déporte habilement un mystère à la Agathe Christie et son Hercule Poirot en robe de bure dans une Italie médiévale peu avant la grande peste. Alors que l’abbaye est sur le point de recevoir des représentants de différents ordres pour débattre de questions « capitales » sur la religion, les morts mystérieuses s’accumulent. La bibliothèque et les livres qu’elle renferme, aussi sacrés que verrouillés, sont rapidement suspectés par Guillaume de Baskerville, qui aimeraient autant les consulter que découvrir en quoi ils sont liés aux décès.
Le mystère en soi n’est pas si épais, et l’intérêt du film réside davantage dans la confrontation entre différentes visions de l’accès au savoir, de la religion et de la piété. Dans un parallèle avec le concile, l’approche progressiste et humaniste de frère Guillaume se heurte au traditionalisme et au besoin de contrôle des populations des bénédictins. Une seconde confrontation s’opère avec l’arrivée de l’Inquisiteur : qui décide de ce qui est hérétique ou non ? Là également, le clergé chrétien révèle davantage les luttes de pouvoirs et les enjeux de dominations sur les populations qu’une vraie recherche spirituelle.
Par ailleurs, le film est également un bijou technique. La musique de James Horner se fait pesante, et reprend les sonorités des clochers dans une partition inquiétante et mystique, qui fait honneur au magnifique décor de l’abbaye. Bien sûr, c’est la bibliothèque, qui sait se faire attendre tout au long du film, qui est le clou du spectacle. Son équilibre entre dédale dangereux et caverne aux merveilles renforce lui aussi la dimension mystérieuse du film. Le choix des acteurs, notamment les bénédictins contribuent lui aussi à rendre plus tangible l’intrigue. Ainsi, si le mystère en lui-même est un peu fin, toute l’atmosphère du film concoure à le rendre étouffant.
Sean Connery a relancé sa carrière avec ce film, où il incarne un rôle qu’il gardera par la suite : l’érudit flegmatique et taquin, pas si éloigné de celui de La dernière croisade. Christian Slater, alors tout jeune, offre le contrepoint naïf nécessaire à Connery, celui qui permet de matérialiser les pensées de l’enquêteur et mentor. Mais il faut souligner l’incroyable performance de Ron Perlman comme le jeu glaçant de F. Murray Abraham.
Enfin, le film n’a pas vieilli, et c’est un véritable plaisir de le revoir sur grand écran.