L'échec de Michael Corleone : une tragédie familiale

Le Parrain : 2e Partie est sans doute la meilleure suite de film qu'il m'ait été donné de voir dans l'histoire du cinéma actuellement. Cette suite est tellement remarquable de réalisation, prodigieuse dans la mise en scène, intelligente et intéressante, que je la trouve même supérieure au premier. Oui, je fais bel et bien partie de ces personnes qui préfèrent la deuxième partie à la première, bien que la première soit également un chef-d'œuvre, pas de doute à ce sujet. Comme je l'ai rappelé dans ma critique du premier, Le Parrain est bien une trilogie dont chaque partie est importante pour comprendre l'intention finale du réalisateur.
On ne reviendra pas non plus sur le fait que la musique de Nino Rota est un mythe à elle toute seule. Elle rentre dans la tête et nous fait revivre tous les moments mémorables de cette tragédie familiale à chaque écoute.


De toute évidence et à l'image de la première partie, tous les acteurs sont exceptionnels, ce qui participe aussi à l'immersion générale, à l'ambiance et à l'expérience cinématographique que souhaite nous faire vivre le réalisateur.


Coppola réussit donc un coup de génie qui était à la base un pari extrêmement risqué, à savoir, construire son film en jonglant sur la vie de deux personnages, Vito Corleone jeune qui découvre l'Amérique et connaît une ascension progressive, et Michael, désormais l'héritier de la famille qui ne parviendra pas à maitriser pleinement les affaires et va connaître une chute (bien que son empire tienne encore en place à la fin, il n'en demeure pas moins qu'il échoué sur le plan familial).
Par cette approche extrêmement intéressante en termes de construction scénaristique, Coppola parvient à donner une profondeur magistrale à ce deuxième volet, ce qui contribue à renforcer la tragédie que va connaître le personnage de Michael Corleone, en comparaison à l'ascension de son père, qui à un âge similaire, avait presque tout réussi d'une main de maître, en partant d'une situation initiale hautement défavorable.


Pour comprendre l'échec de Michael Corleone, il faut revenir aux origines de la construction de cette famille, et par conséquent, à Vito Corleone, le père de Michael.
Vito voyait en Michael son successeur idéal, et il avait de bonnes raisons d'avoir cette intuition car Michael est avant tout un esprit brillant, clairvoyant et rationnel (l'idée de son échec est donc encore plus difficile à encaisser). Il était le plus à même de reprendre le flambeau et continuer ce qu'a construit le père, à l'inverse de ses deux frères, l'un parti trop tôt par son impulsivité problématique, et l'autre beaucoup trop dissipé et manquant de sérieux. C'est bien sur ce point précis que Le Parrain est une histoire extraordinaire qui ne peut pas nous laisser indemne en tant que spectateur, car Michael promis au plus brillant avenir, va être conduit à commettre le pire, c'est ce qui est à la fois magnifique et terriblement cruel. Il est très compliqué de faire naître ce sentiment, en cela, Le Parrain fait partie de ces rares œuvres qui ont réussi cela, et il y en a peu, vraiment peu.
En reprenant l'histoire de Vito, on voit qu'il reste tout de même différent de Michael, et son parcours fut lui-même une véritable épreuve, ce que n'a pas connu Michael - bien qu'il ait lui-même eu des moments difficiles à gérer - mais ce n'est pas comparable avec Vito qui a du se former intégralement seul, et ça fait toute la différence selon moi. Vito construit à partir de rien, Michael hérite. Vito n'avait pas de frère qui pouvait interférer dans son parcours, Michael en avait bien un, qu'il aimait d'un amour fraternel malgré cette fin tragique...


Cette deuxième partie du Parrain nous montre l'ampleur de la difficulté de la succession familiale, un thème récurrent dans les tragédies antiques ou shakespeariennes notamment.
Michael, déboussolé à l'idée d'avoir subi une trahison involontaire de la part de son frère, va décider de mettre fin à ses jours pour avoir menacé la survie de sa famille.
"You broke my heart Fredo" suivi d'un baiser de la mort, une scène hautement mémorable si l'on y ajoute son regard à la fin du film quand il s'agit de conduire Fredo en barque et de l'assassiner. Tête baissée en regardant cette scène, Michael sera définitivement marqué au fer, définitivement rongé par cette culpabilité dans la partie suivante.


Si l'axe majeur du film tourne principalement autour de son problème de succession et son échec dans la gestion de sa propre famille, il ne faudrait pas non plus négliger le deuxième axe fondamental, à savoir, la construction de sa famille à son échelle personnelle avec sa femme, qui se révèle être une catastrophe à tous les niveaux.
Sa femme, n'était jamais parvenue à s'adapter à la mentalité sicilienne (ce qu'elle lui reprochera à de nombreuses reprises), ayant marre également d'être au centre de ses affaires qui compromettent sa vie et celle de ses enfants, décide de tourner la page avec lui. A travers la révélation de son avortement, le regard de Michael Corleone bouillant de colère, la giflant dans une scène d'une extrême dureté, on lit son échec familial à tous les niveaux.
Bien entendu en parallèle - et c'est ce qui en fait la génialité de cette œuvre - le réalisateur nous dévoile l'inverse de cet échec à travers la vie de son père, qui lui a bien réussi à consolider sa famille, à maintenir l'amour de sa femme envers lui et à la protéger coûte que coûte.


Et ce qui est particulièrement génial et fascinant dans cette gigantesque fresque familiale, c'est que l'on peut comprendre les réactions de tous les personnages, c'est aussi pour ça que Le Parrain apparaît comme étant un chef-d'œuvre bouleversant, il ne cède à aucune facilité : Michael n'est pas un monstre froid et sanguinaire comme j'ai pu le voir parfois dans des commentaires qui lisent le film de façon binaire, Michael échoue avec l'intention initiale de bien faire, même si ce qu'il fait est terrible et impardonnable, j'en conviens.
-Fredo : Frère ainé de Michael, on ne peut que comprendre sa volonté de devenir quelqu'un au sein de cette famille, d'avoir lui aussi un rôle important à jouer et n'être pas qu'un personnage secondaire qui subit des commandements. Mais la réalité c'est qu'il en est incapable, et dès lors qu'il se permet de prendre des libertés, ça conduit à des catastrophes.
-Michael : Il a un rôle tellement difficile, tellement compliqué car il faut à la fois contrôler cet immense empire (fortement menacé au début de cette deuxième partie) et également prendre soin de sa famille. Il doit donc protéger sa famille et il ne peut tolérer aucune mise en danger de celle-ci. Michael aime son frère, c'est une certitude, mais Michael sait que son frère n'a pas les épaules pour assumer les responsabilités qu'il doit assumer lui au quotidien. Michael veut rendre hommage à son père, et il est conduit par finalement faire tout l'inverse.
-Kay : On comprend qu'elle puisse en avoir marre de vivre auprès de Michael, c'est une vie qui n'est pas paisible, une vie compliquée, une vie qui met en péril l'avenir de ses enfants. Mais on comprend aussi pourquoi Michael est en rage quand elle décide de le quitter, lui qui a toujours essayé de maintenir l'équilibre et son amour envers elle. Leur rupture est déchirante en ce sens.


Si l'empire de Michael Corleone tient encore la route à la fin de ce deuxième volet - puisqu'il parvient tout de même à rattraper la situation compromise au départ - on ne peut pas considérer cela comme une réussite, lui-même le sait, il a échoué : sa femme l'a quitté, son frère est assassiné sur ses ordres.
C'est donc un Michael complètement dévasté sur le plan émotionnel, le regard dans le vide, perdu dans ses pensées, on peut lire tout cela à travers l'ultime image qui clôt ce chef-d'œuvre.


Tout est brillant de A à Z, l'intention du réalisateur est sublime, ce qu'il met en place dans le premier pour en aboutir à ce qu'il fait dans le deuxième est une réussite à tous les niveaux. Le choix de confronter deux histoires pour appuyer l'une contre l'autre et inversement se révèle brillant, puissant, osé.
Œuvre définitivement bouleversante, Le Parrain : 2e Partie est à intégrer au panthéon de l'histoire du septième art au même titre que son précédent volet, tant les deux films me semblent inséparables dans ce qu'ils montrent l'un l'autre.


Je n'ai aucun reproche à adresser à ce film, d'où la note prestigieuse de 10, que j'accorde finalement à très peu de films. A titre personnel, ce film m'a complètement ébranlé. Il fait partie de ces rares films qui me marquent véritablement dans ma vie. Je trouve l'histoire de cette famille, mais en particulier de Michael Corleone, digne des plus grandes tragédies historiques jamais écrites dans l'histoire de l'humanité : cette histoire est captivante, déchirante, magnifique.

Tystnaden
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le 1 oct. 2020

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