Le Petit Prince
6.8
Le Petit Prince

Long-métrage d'animation de Mark Osborne (2015)

Je vais commencer en toute franchise: je n'ai jamais su apprécier Le Petit Prince. Loin de moi de renier le talent et la beauté de l'oeuvre originale d'Antoine de St Exupéry; mais moi, contrairement à tous, ce personnage à l'innocence ingénue m'a toujours juste profondément énervé... Peut être n'ai-je jamais été un enfant rêveur? J'ai toujours été trop vieux comme gosse? Qu'en sais-je? Toujours est-il que ce personnage, au lieu de me faire rêver, de me donner une leçon de vie, de me faire espérer une vie comme la sienne, m'a juste toujours écoeuré, jusqu'à une certaine "haine" de l'oeuvre... "Le Petit Prince? Bof j'ai lu, c'est tout." Ce blondinet avec ses planètes, ses étoiles, son renard, sa Dame la Rose, toutes ses aventures, nope, vraiment pas...
Pourquoi donc je critique tant cette oeuvre, alors que je lui ai mis une telle note...? Parce que ce film n'est définitivement PAS une adaptation du Petit Prince... A mon grand plaisir.
Commençons: tout dans ce film est manichéen, c'est un film qui donne une leçon, et elle est claire! Graphiquement, le ton est donné, littéralement: dites adieu aux couleurs chatoyantes que l'on peut apercevoir sur l'affiche du film, avec des personnages colorés, enjoués, le jaune magique typé poussière de fée désertique, le bleu ciel rêveur. Nope. La ville, le monde, dans lequel notre héroïne, une jeune fille -sans nom, l'identité importe peu, car pour donner la leçon il faut que n'importe qui puisse s'identifier à elle...-à l'avenir prometteur, évolue est gris, carré, sans rien de naturel. Tout y est parfaitement géometrique, pollué, ça parle que d'économie à la radio, la joie est absente, seuls comptent le travail, la prospérité, l'argent... Seule tâche dans cette marée de pétrole grisatre: la maison de notre second protagoniste, l'aviateur+40ans, emplie d'arbres, de couleurs vives, d'oiseaux, d'excentricité...
Passons. Ce film n'est pas une adaptation du Petit Prince à proprement parler: les aventures de notre blondinet y sont assez rares, et nous sont narrées par notre aviateur vieillard. Les images sont d'une beauté à couper le souffle: le stop motion en papier crépon est juste d'une originalité et d'une magnificence bien inattendue, et cela donne un charme extrêmement poétique aux récits. Et là est le point qui en fait râler la plupart: ce n'est pas un film du Petit Prince, les grandes lignes sont adaptées, mais pas assez pour faire transparaitre la morale infaillible de Saint-Exupéry; les éléments d'aventures se succèdent à la chaîne, sans charme aucun, ayant pour seul but d'aider à la suite du film, un point de l'intrigue seulement.
Là est tout l'enjeu de ce film: nous faire réfléchir sur notre monde, sur cette oeuvre, mais sans réflexion sur l'oeuvre originale: c'est la réflexion, le point de vue adapté du réalisateur. Ce n'est pas le Petit Prince qui nous fait réfléchir ici, mais ce que la jeune fille apprend de ces récits. Elle y apprend à s'amuser, à grandir, mais "à ne pas oublier", oublier qui l'on est, oublier qui l'on doit être, oublier ce qu'on a été et ce qu'on a toujours rêvé d'être, oublier grâce à qui on est...
Au-travers de ces séquences en papier stop-motion, des hauts et des bas traversent la vie de notre héroïne, qui découvre l'amusement, la joie, l'amitié, les rêves, l'enfance tout simplement... Cette histoire est le récit d'une enfance, d'une enfance grandissante mais pas vieillissante.
Pour continuer sur cette même idée qui m'a extrêmement plu du fait que ce film n'est pas une adaptation du Petit Prince, je vais désormais rentrer dans mon interprétation du film, mon ressenti: en effet, le film possède plusieurs lectures -SPOILERS-.
Des malheurs arrivent au vieil aviateur -le thème de la mort est de nombreuses fois évoqué de manière implicite, l'aviateur faisant mention de devoir s'envoler lors d'un dernier voyage, seul- et la jeune héroïne se sent obligée la veille de sa rentrée des classes dans une école prestigieuse formant son avenir conditionné de partir à la recherche du Petit Prince afin de sauver son vieil ami... La surprise est de taille: elle s'envole en avion avec sa peluche de renard, qui a soudainement pris vie, atterrit dans une ville triste et sombre, rencontre tous les personnages qu'a rencontré le Petit Prince, le retrouve soudainement en adolescent maladroit et qui a "oublié" ce qu'il était, alors un adulte comme les autres...
Ainsi s'ouvre à nous plusieurs choix de lecture: les inconditionnels raleront à ce propos...
1)(mon opinion) Tout ce qu'a vécu notre jeune demoiselle à partir de son envol est rêvé -on la voit en effet dans son lit juste avant sa fugue- ce qui lui permet de se forger une opinion, de grandir, mûrir, décider de sa propre vie. En effet, le Petit Prince n'étant normalement pas en mesure de vieillir comme il l'a fait, le renard de bouger, les étoiles de voler, l'avion de même, les personnages d'exister, la comète d'exister de même aussi... Tout ceci peut donc n'être qu'un simple rêve permettant le dénouement, sa réconciliation avec le vieillard, avec sa mère, avec la vie.
2) Tout est vrai: les récits du vieillard sont vrais, le Petit Prince existe, et la magie existe, et n'opère que pour les coeurs purs...? En clair ses aventures, véritables exploits picaresques, sont pour elle un apprentissage magique de la vie, aidant à la compréhension du monde, à la compréhension de grandir... Cette magie lui permet ainsi de sauver son seul et unique ami dans ce monde gris...


Cette double interprétation m'a particulièrement plu: laisser le doute au spectateur est merveilleux. Les enfants, spectateurs émerveillés, y verront que magie et auront beaucoup plus de mal à comprendre toute la morale mystique et réaliste pourtant de l'oeuvre ici décrite; les fans du livre suivront les enfants car ils seront persuadés, et ce depuis leur tendre enfance, que quelque part sur une comète vit un petit blondinet amoureux d'une rose... Peut-être seront ils déçus. Déçus que si peu d'importance soit donnée à l'existence du Petit Prince dans ce film. Déçus que son existence soit si peu démontrée. Déçus qu'il soit résumé à une histoire moraline, qu'il soit mis en arrière plan face à une gamine qui ne porte même pas de nom.
Mais moi ce que je retiens, c'est que ce film inspire une nouvelle vie à l'oeuvre de Maitre Saint-Exupéry. Certes le film n'est pas fidèle. Certes le film snobbe les aventures du Petit Prince. Certes le film ôte la poésie, la finesse de l'oeuvre. Mais par cette double lecture, le film d'Osborne offre une morale, une leçon exclusive, rare pour un film de cette tranche d'age, beaucoup plus explicite et compréhensible pour les enfants que ne l'est le livre, et permet ainsi à ceux qui comme moi n'ont jamais su apprécier le roman de le redécouvrir, et peut être même, je le dis avec beaucoup d'optimisme, de permettre un second soufle à l'oeuvre, de le relire avec un nouveau regard, ouvert d'esprit par la morale intrinsèque de ce dessin-animé, faisant perdurer de comète en comète le Petit Prince, jusqu'à l'Eternité.


“N’espère rien de l’homme s’il travaille pour sa propre vie et non pour son éternité.”
“On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux.”
Antoine de Saint-Exupéry.

Val_Jaulin
8
Écrit par

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le 4 août 2015

Critique lue 552 fois

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Val' Jaulin

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