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Décidément, on peut dire que le genre « judiciaire » commence à sacrément avoir de la côte depuis quelques temps. Entre la fille au bracelet à la palme d’or Anatomie d’une chute, en passant par le bouleversant Saint Omer, le captivant Les choses humaines ou même la parodie avec Mon Crime, ce genre a été traité sous de nombreuses coutures en pourtant peu de temps. Pourtant jusqu’ici, presque tous les exemples cités finissaient par se détourner du contexte litigieux, voir s’en servant comme prétexte pour explorer ses personnages et d’autres thématiques. Évidemment, sur un genre aussi codifié, il est difficile d’en vouloir aux différents auteurs, cherchant à renouveler ce genre autant que s’en servir pour aller plus loin. Cependant, peut-on faire les deux ? A la fois proposer un pur film de procès, et en même temps offrir à côté un récit plus dense thématiquement ? Le procès Goldman pourrait bien répondre à cette attente, et ironiquement, marquer le genre « judiciaire » plus qu’il s’approprie les codes connus de ce genre.



Comme dit plus haut, le nouveau film de Cédric Khan est un pur film de procès, et on peut même dire, un procès filmé ; si ce n’est sur 3 scénettes dont l’intro, la caméra du réalisateur ne sortira jamais de ce huis clos juridique, concentrant ainsi notre attention et l’action sur le déroulé du procès. Sur le papier, clairement, le film ne triche pas, et c’est assez fort de réussir à maintenir le rythme et surtout la tension du récit en huis clos, avec un dispositif aussi théâtral. Il faut dire que le métrage pose très rapidement les bases, autant de son intrigue, ou du moins du personnage central, que son dispositif scénaristique. Un dispositif attendu mais magnifié par ses auteurs, qui prennent tous les éléments d’un procès pour jouer avec, en utilisant comme base une affaire hors normes, presque surréaliste. Pour autant c’est ici que se tient mon seul point noir par rapport au Procès Goldman, c’est qu’encore plus que le film de Justine Triet, ce dernier tombe dans pas mal d’écueils liés au film de procès, que ce soit sur des attendus scénaristiques que l’écriture de certains personnages. C’est d’autant plus dommage pour le personnage d’avocat général, qui manque de finesse dans son écriture et sa représentation plus qu’antagoniste qui dessert vraiment mon implication dans le métrage ; la sensation que « ça fait cinéma », et que Cédric Khan s’en est un peu trop laissé au classicisme quitte à rendre moins singulier un traitement pourtant exceptionnel. Car en effet, mis à part ce côté un peu stéréotypé, l’écriture du film est proprement irréprochable, que ce soit pour son intrigue en elle-même, ou ce que le Procès Goldman raconte en profondeur. Avant d’être un procès sur le personnage éponyme, le film raconte avant tout son contexte politique, et de manière inhérente, le déchirement politique de l’époque, pour autant toujours d’actualité. Évidemment, le contexte autour de l’accusation de Goldman est déjà un bon moyen de prendre la température du pays à cette époque, mais le réalisateur n’en reste pas là. Au-delà des réactions de l’accusé, les tentatives de médiation ou au contraire d’accablement (les avocats), c’est, comme rarement pour ce genre de métrage, le public qui devient l’un des principal acteur du récit. Des réactions toujours très démonstratives, qui font bien ressentir le bordel et l’importance médiatique ainsi qu’historique du procès, créant des séquences captivantes autant qu’inattendues, principalement engendrées par la confrontation entre deux extrémismes. Puis, pour tous les personnages évoqués plus haut, le film touche quelque chose d’incroyablement juste malgré la démesure qu’il peut filmer, certaines phrases, des dialogues qui sortent du cadre juridique, des gestes, rien n’est laissé au hasard et encore moins au manque de justesse. Chaque dialogue fait mouche et réussit à toucher du doigt une thématique différente ou au moins à approfondir le propos politique du film, tout en restant le plus impartial possible : Goldman n’est pas cet anti-héros acculé par le système et la méchante droite comme ce camp politique n’est pas le chevalier blanc face à l’extrémiste et problématique polémiste. Non le film n’est pas neutre et comme dit plus haut, tombe parfois un peu dans la caricature, mais il garde suffisamment de distance pour pouvoir avant tout retranscrire au mieux le sentiment d’un affrontement dont l’arbitre est le président du tribunal. Finalement, même si la structure du récit est classique, le film se rattrape largement dans son exécution, qui amplifie les enjeux de son récit tout en offrant un contexte riche, qui varie autant que les témoins se multiplient. J’ai même envie de dire, alors qu’il s’agit du climax émotionnel du récit, une fois encore, le dénouement de l’affaire n’a pas tant d’importance, ce qui importe, c’est Goldman, ses réactions et défenses ; mais surtout sa vie, car plus qu’un film de procès, Le Procès Goldman est un incroyable biopic, qui permet de comprendre et de vivre la personnalité disséquée, plus qu’en passant par une série de faits, d’anecdotes, mais en assistant en direct à sa vie et ses répliques. En résulte un personnage ambiguë, présenté comme provocateur, voire suicidaire, victime mais brigand, contradictoire mais sincère, problématique mais incroyablement juste, jusqu’à la fin du film, il me paraît impossible d’être lassé ou de pouvoir cerner entièrement un homme aussi passionnément filmé et écrit.



Qui dit contexte théâtral, dit aussi problème de mise en scène, car on a tous vu des films catalogués comme des « théâtre-filmé », en un décor, où pas grand-chose se passe avec la caméra, si ce n’est… retranscrire le texte (comme la pièce). Cette fainéantise n’est pas le genre de Cédric Khan, au moins pour Le Procès Goldman, qui comme son écriture, propose au spectateur une maîtrise complète de cet outil narratif que reste la caméra. Pas de longs plan-séquences comme dans Les choses humaines, pas de long plan fixe évocateur à la manière d’Alice Diop, ici, Khan semble en restant à la simplicité, et pourtant c’est peu dire que sa mise en scène semble être le fruit d’un travail méticuleux. En effet, tout est fait pour montrer, et le moins possible dire, retranscrire les rapports de force des personnages par le montage, retranscrire l’intensité d’une situation en se plaçant en légère contre-plongée,… Plus que des détails, tout est fait pour retranscrire le sentiment, non pas d’être dans un procès, mais de le vivre, au prisme de chaque personnage, à chaque situation présentée par le metteur en scène. Le résultat en devient incroyablement stimulant, et les 2 heures passent comme une lettre à la poste grâce à un rythme effréné sans artifice supplémentaire : pas de musique, de superflus, juste une maîtrise des moyens les plus primaires ont suffit. Puis, au-delà de son montage, la grande réussite de la mise en scène de Cédric Khan, c’est sa direction artistique, ou du moins, dans la continuité de l’immersion dans le procès, ce dernier arrive incroyablement bien à retranscrire le contexte de l’époque. Par la photographie, les décors et costumes, rien de bien fou, mais un mélange précis qui donne une vraisemblance presque troublante à ce qui nous est présenté, le tout toujours avec des moyens primaires mais soumis à l’exigence et la rigueur de son metteur en scène et techniciens ; jusqu’au phraser troublant. Puis, niveau crédibilité, il faut parler de la direction d’acteur. Point le plus important, incontournable et sur lequel il est en même temps dur de broder. Car que dire, à part qu’on a rarement vu aussi puissant et sensationnel sur un grand écran ? Que l’incarnation de Goldman, autant que chaque corps du procès (malgré un côté stéréotypé) devrait permettre à chaque membre de l’équipe de recevoir toutes les récompenses du monde face à une prestation aussi impressionnante de justesse, de ton, mais surtout de dynamique. Encore plus que le montage, déjà survolté, c’est les répliques et confrontations qui font l’intensité du procès Goldman, et leurs acteurs qui permettent de dépasser ces émotions déjà très fortes. Le tout sans superficialité, sans « faire cinéma », rôle à performance, c’est simplement d’une justesse et réussite implacable et presque inespérée, du grand art.




Malgré un certain classicisme par rapport au genre judiciaire, le Procès Goldman dépasse très vite certains attendus pour offrir une œuvre implacable et incroyablement juste, de son écriture au cordeau, à son jeu d’acteur inimitable, en passant par sa mise en scène immersive et une direction artistique discrète mais très soignée.

Vacherin Prod

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