.Un survival animalier qui relève plus du film d’aventures dont le discours tranche avec les considérations binaires actuelles. Une production Hammer qui augure du succès de la firme britannique et reste, à ce jour, l’un des meilleurs films sur le yéti qui, soit dit en passant, n’est pas si abominable ou redoutable.


Pour le cinéma de genre, les années1950 sont marquées par de nombreuses productions de science-fiction. Entre les préoccupations scientifiques d’une vie extraterrestre et une parabole avec l’envahisseur communiste en période de guerre froide, les métrages de ce style se sont multipliés. Cela a notamment laissé le champ libre aux initiatives horrifiques qui, quelque peu en retrait depuis l’âge d’or des monstres d’Universal, peinaient à se renouveler. L’époque est également marquée par l’émergence d’une société de production britannique encore modeste: la Hammer. En 1957, celle-ci est bien loin de sa renommée future et de ses histoires gothiques.


Le redoutable homme des neiges n’est pourtant pas un coup d’essai. On peut évoquer Frankenstein s’est échappé et, du même cinéaste que le présent film, La marque et Le monstre. Progressivement, la Hammer pose les jalons de son succès à venir. À commencer par une économie de moyens proportionnelle à la capacité de les exploiter de manière inventive et efficace. La majeure partie du métrage a été tournée en studio. Certains plans larges, eux, ont été pris dans les chaînes pyrénéennes. La reconstitution de la lamaserie et de l’environnement fait illusion. Sans doute est-ce dû à la qualité de la réalisation ou au cachet si particulier du noir et blanc, toujours est-il que l’immersion est au rendez-vous.
La confrontation avec la communauté tibétaine contribue à un dépaysement de circonstances, mettant en exergue le clivage entre les Occidentaux et les peuples d’Extrême-Orient. On songe à la complaisance et la condescendance des premiers face à la sagesse et à l’indifférence toute déférente des seconds. D’ailleurs, on apprécie le contraste entre la soif de savoir sur une rigueur toute scientifique et la méconnaissance ethnique qui résulte de l’ignorance et des rumeurs. Il est toutefois à regretter que les notions patriarcales prennent le pas sur la complémentarité des protagonistes. C’est notamment le cas pour le rôle de second plan de Maureen Connell ou le statut de faire-valoir des porteurs et des moines locaux.


S’il est avancé comme un film d’horreur ou un survival animalier avant l’heure, Le redoutable homme des neiges s’avance plus comme un récit d’aventures. L’expédition en elle-même recèle sa part de mystères et d’attente en de telles circonstances. De découvertes en promesses de gloire, la progression se fait en comité restreint. Ce groupe d’hommes étant soumis aux aléas climatiques de l’Himalaya et les dangers de la montagne. Le blizzard, le froid glacial, le risque d’avalanche, les reliefs escarpés propices à une chute malencontreuse... Exception faite d’une sensation de vertige absente, autant de menaces qui sont intégrées à l’intrigue pour en faire une donnée essentielle, peut-être plus importante que le yéti lui-même.


En ce qui concerne ce dernier, sa présence relève de la suggestion. Les classiques empreintes démesurées dans la neige, des sons rauques qui se propagent entre les sommets, des ombres à peine définissables... Tout cela concourt à développer un climat de suspicion, proche de la paranoïa. Et c’est sur ce point que le film de Val Guest s’avère étonnant. Le spectateur n’assiste pas à un massacre en règle, comme il est généralement admis pour le genre. Non, la véritable menace vient de la perception des protagonistes au regard de leur environnement et, par extension, de la créature. Les drames et les morts qui surviennent sont uniquement la conséquence indirecte de ce point de vue biaisé. Un traitement remarquable qui met en avant le tempérament néfaste de l’homme envers lui-même.


Au final, Le redoutable homme des neiges est un film étonnant dans le sens où il ne se cantonne pas à un style prédéfini. Mélangeant les genres et les sources d’inspiration, il s’éloigne sensiblement des séries B de l’époque, comme The Snow Creature. Il en résulte une approche réellement convaincante qui se pare d’un message sous-jacent inattendu sur la relation de l’homme à la nature et du regard que porte celui-ci sur ses contemporains étrangers. Ce traitement assez sensible use de cet aspect émotionnel pour détourner le véritable danger qui sommeille dans les montagnes de l’Himalaya. Si ce n’est l’irruption de certains trucages passablement désuets, et néanmoins assez rares, le film de Val Guest a très bien vieilli.

Blockhead
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le 7 févr. 2019

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