À l'instar d'un Kenji Mizoguchi, Mikio Naruse est incontestablement le cinéaste de la femme. Mais là où son confrère affiche ostensiblement son militantisme, avec des films bien souvent engagés, lui reste fidèle à son tempérament d'homme discret et préfère se poser en témoin privilégié des choses. Préférant la force du documentaire aux démarches polémiques, il se contente de prendre sa caméra et filme, le plus simplement possible, le couple japonais moyen dans Meshi donnant à son Shômin geki une dimension réaliste des plus saisissantes.
Le Japon d'après-guerre, tiraillé entre une culture traditionnelle tenace et une aspiration pour la modernité, est profondément malade. Cela ne se voit pas forcément au premier coup d’œil car le patient semble calme et serein en apparence, tandis qu'au fond de lui les tourments le gagnent. Les maux dont souffre le pays ne sont finalement pas si différents de ceux qui touchent la femme à cette même période. C'est un peu ce que montre Naruse en esquissant le fin portrait d'une Japonaise représentative de son époque, Michiyo (campée avec justesse par Setsuko Hara) qui a bien du mal à trouver sa place entre son statut d'épouse et des désirs d'émancipation.
Michiyo a tout de la femme nippone du lendemain de la guerre ; alors que les mariages arrangés existent toujours et scellent par avance le sort des jeunes filles, elle a pu faire un mariage d'amour. On pourrait donc croire qu'elle représente le visage du renouveau au Japon et qu'elle vive parfaitement son rôle d'épouse. Mais que veux dire être une épouse dans les années 50 au pays du soleil levant ? Personne ne le sait exactement ! Faut-il être une bonne maîtresse de maison, continuellement aux petits soins de son mari ? C'est le rôle qu'elle a joué jusqu'alors mais son quotidien s'avère être d'une morosité extrême, éternellement rythmé par les mêmes saynètes comme ces repas qu'elle prépare immuablement et qui semblent être les seuls échanges qu'elle a avec son époux. Ou faut-il être une femme plus émancipée, cherchant une indépendance financière et la reconnaissance sociale. À cela, elle va y songer sérieusement, surtout après l'arrivée intrusive de cette nièce aguicheuse, mais elle va y renoncer de peur du changement, sans doute, ou par peur de perdre l'homme qu'elle aime. Ses interrogations à la fin du métrage sont finalement celles de nombreuses femmes au Japon qui cherchent leur voie entre réussite professionnelle et affective, entre besoins d'indépendance et d'affection.
Naruse prend bien soin de n'apporter aucune conclusion à son film et de laisser ses personnages dans un état de totale perplexité. Avec Meshi, il érige un constat doux amer concernant la condition féminine qui n'a pas vocation à nous rassurer mais plutôt à nous interpeller ! Et sur ce point, c'est une parfaite réussite.