Il y a bientôt vingt ans, un cinéaste russe en devenir allait faire découvrir au public son premier long métrage. Un commencement qui héritera du nom du Retour. Le retour d’un père dans la vie de deux enfants, point de départ d’un périple initiatique qui va révéler le cinéaste qui en est à l’origine.


A l’âge de l’adolescence, on se cherche, on veut trouver sa place, se prouver aux autres et s’affirmer. Du haut d’un promontoire, les jeunes se jettent à l’eau, pour montrer qu’ils n’ont pas peur. Andreï, le grand frère, n’éprouve aucune difficulté à le faire, mais ce ne sera pas le cas d’Ivan, le petit frère. Une scène de vie habituelle pour ces adolescents, jusqu’au retour inopiné de leur père, qu’ils ne connaissaient presque pas. Sa première apparition se fera à travers un plan évoquant sans détour La Lamentation sur le Christ mort d’Andrea Mantegna. Une première apparition étrange, symbolique, comme pour signifier la présence d’un mort, ou, peut-être, pour annoncer sa résurrection proche. Allongé dans ce lit comme s’il y dormait chaque nuit, voilà donc le père de famille revenu au sein du foyer, comme si de rien n’était.


Tout comme les deux enfants, le spectateur est mis face au fait accompli. Nul ne sait vraiment pourquoi le père est ainsi revenu et, surtout, pourquoi on ne se pose pas plus de questions sur son retour. Pourquoi les réactions de l’entourage semblent si désarmantes d’indifférence ? Cette apparition que l’on pourrait qualifier de magique constitue une première étape dans un récit cherchant à s’affranchir le plus possible de tous repères spatiaux et temporels. On ne mentionne pas de lieux, on croise très peu de monde, on fait les choses ainsi car c’est ainsi, on par là-bas, car c’est ainsi, aussi. Le Retour s’articule autour de ce passage de cap, de cette révélation et de cette affirmation de l’être, composant avec son environnement, son entourage et son environnement, se façonnant du cercle familial au contact avec la nature elle-même.


On retrouve, dès ce premier film, ce motif récurrent chez Zviaguintsev, qui consiste en la présentation d’un ordre établi, routinier, soudainement chamboulé par un élément perturbateur qui met le tout en branle, et délivre alors de multiples questionnements. Figure autoritaire par excellence, le père force ses fils à suivre ses directives tout en les poussant à l’émancipation, révélant alors leur vraie nature. Ainsi, le grand frère, forte tête, assez arrogant, devient-il docile et hésitant face au père, quant le petit frère, plus réservé, dominé, devient-il plus entreprenant et impulsif. Les apparences laissent place à la vérité. Le Retour se présente comme un véritable rite initiatique, avec ce long voyage sur la route, et le campement aux bords d’un lac, ou sur une île au large, autant d’étapes loin du foyer qui seront l’occasion à chacun de faire ses preuves. Tout baigne dans une atmosphère offrant un véritable retour aux sources, dans ces lumières naturelles où l’on ne se focalise plus que sur l’essentiel.


D’une manifestation paraissant étrangère surgit alors l’expression de l’intime et de la vérité. Peut-on croire à tout cela ? Ce que nous voyons est-il bien vrai ? Le film laisse suffisamment de place au doute, une ouverture permettant une lecture plus métaphysique du film, qui pourrait se voir comme une sorte de rêve. Cela n’enlève rien, cependant, au propos du film, qui parvient à se déployer quelle que soit la lecture que le spectateur souhaite employer. C’est un Zviaguintsev spirituel, partant de l’essentiel, qui s’exprime dans Le Retour, un premier long-métrage offrant déjà une vision très encourageante de ses talents de cinéaste, qui se confirmeront par la suite.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 27 avr. 2020

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