Les films bibliques comptent parmi les premiers genres de l’histoire cinématographique, et la période des années 50 et du début des années 60 est très riche en la matière. Cecil B DeMille a réalisé Samson et Dalila et Les Dix Commandements, puis le cinéma hollywoodien a produit, pêle-mêle : David et Bethsabée, Salomon et la Reine de Saba, ainsi que deux grands films sur les débuts de l’église : Barabbas et Quo Vadis. Quant au protagoniste de Ben-Hur, il croise plusieurs fois le chemin du Christ.
Dans un tel contexte, comment faire un film original sur le Christ, alors que tant ont déjà été tournés ? Le Roi des Rois se démarque cependant par deux partis-pris originaux.
Tout d’abord, le film présente la vie du Christ, certes, mais Jésus en est, pratiquement, un personnage secondaire. En effet, le scénario choisit d’adopter le point de vue de personnages extérieurs. Nous allons donc suivre Barabbas, qui est ici un rebelle juif optant pour l’action violente contre l’occupant romain. Il va se présenter en opposition frontale au message du Christ : pour Barabbas, proclamer la force de l’amour de l’autre et du sacrifice ne peut pas suffire pour combattre Ponce Pilate et ses troupes. Il va cependant suivre le ministère de Jésus, profitant, par exemple, de l’entrée du Christ à Jérusalem pour monter une attaque contre les légions romaines.
L’autre personnage qui sera, au fil du film, un témoin du Christ s’appelle Lucius et est un officier de l’armée romaine, très proche de Pilate hiérarchiquement (même s’il semble loin de partager les opinions du procurateur). Il va rencontrer Jésus alors que celui-ci n’est encore qu’un enfant de Nazareth, et va accompagner indirectement les grands moments du ministère du Christ jusqu’à la passionnante scène du procès où Ponce Pilate (n’étant pas à un anachronisme près) demande à l’officier d’être l’avocat de la défense de Jésus.
Du coup, si le Christ est au centre de l’attention générale, il est relativement peu présent à l’écran. Et c’est plutôt une bonne idée, car l’acteur choisi pour tenir le rôle de Jésus ressemble beaucoup à une erreur de casting. Il s’agit de Jeffrey Hunter, acteur surtout connu pour avoir, cinq ans plus tôt, accompagné John Wayne dans La Prisonnière du désert (et qui incarnera également le premier capitaine de l’USS Enterprise dans le pilote de la série Star Trek, avant d’être remplacé par William Shatner). Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’acteur ne brille pas par sa vraisemblance dans ce rôle. Au point de se faire voler la vedette aussi bien par Robert Ryan dans le rôle de Jean-Baptiste que par l’excellent Rip Torn en Judas Iscariote.


L’autre parti-pris, c’est le choix de raconter l’histoire du Christ sous l’angle politique. Le film commence, non pas à par une scène de Nativité, mais par l’invasion de la Palestine par l’armée romaine et toutes les conséquences qui en découlent. Renversant ce qui est souvent la norme des adaptations de l’Evangile, dans ce film, Hérode ou Ponce Pilate sont de véritables personnages et pas seulement des fonctions dont se sert le scénario. Les spectateurs assistent aux conflits de pouvoir au sein de la Judée. C’est dans ce contexte que le Barabbas révolutionnaire prend toute sa place. C’est là aussi que le titre, Le Roi des rois, prend tout son sens.
Le Roi des rois met ainsi l’accent sur l’originalité du message du Christ. Dans un monde de violence et de course impitoyable pour obtenir plus de pouvoirs, Jésus apparaît comme un être à part, un marginal que l’on peut croire un peu fou de prôner un message d’amour au milieu d’un déferlement de haine. Cela n’en rend qu’encore plus prégnante la puissance de l’enseignement christique.
A priori, le choix de Nicholas Ray pour réaliser une production sur le Christ peut paraître étonnant. Et pourtant, ce parti-pris de faire du Christ un personnage incompris et marginal, qui tire justement sa force de cette marginalité par rapport aux normes de son temps, est assez typique du cinéma de Nicholas Ray. Le réalisateur des Amants de la nuit et de Johnny Guitar a peuplé ses films de marginaux, de personnages qui sont, volontairement ou non, en dehors des sociétés qu’ils habitent. Le Christ, tel qu’il le voit, ne fait finalement pas exception.
Parmi les choix de mise en scène, il est intéressant de noter l’absence de spectaculaire. Ainsi, dans une scène magnifique, les miracles se font par un jeu d’ombres de toute beauté. C’est l’ombre, aussi, à la fin du film, qui nous fait comprendre la grandeur du Christ. Ray n’emploie pas de grands effets mais parvient à accrocher son spectateur par un récit au rythme impeccable et plutôt original, malgré un sujet que l’on croirait connaître par cœur. Un exploit.


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le 4 févr. 2020

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SanFelice

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