Melville, ce sont de grands films, des polars qui ont notamment fait les grandes heures du cinéma français des années 60 et 70, avec Le Doulos, Le Deuxième Souffle ou encore Le Cercle Rouge, sans, bien sûr, oublier un autre de ses grands classiques, L’Armée des ombres. Au milieu de tous ces métrages très reconnus, nous trouvons Le Samouraï. Une de ces œuvres qui rappelle, une nouvelle fois, à quel point le cinéma est un art plein de richesses et de surprises.


Dans sa chambre délabrée, toujours vêtu de son imper et de son chapeau, Jef « Le Samouraï » Costello est un homme mystérieux, fermé, taciturne. La citation affichée au début du film, « Il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï. Si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle… Peut-être… » condense tout son propos. Le Samouraï est totalement à l’image que l’on se fait du cinéma de Melville : froid, chirurgical et méticuleux. Tout est d’une très grande précision, qu’il s’agisse des actions de Costello ou de la description et de l’évolution de l’enquête, ou de la filature qui s’ensuit. Rien n’est laissé au hasard par le cinéaste, qui décrit tout mais, surtout, le fait de manière efficace, parvenant à conférer au film une grande fluidité.


Car c’est principalement dans la mise en scène et le montage que Le Samouraï montre de grandes qualités, faisant en sorte que les images, les couleurs et les expressions dialoguent directement avec le spectateur, permettant au film et à Delon d’être taiseux et pourtant si expressifs. A défaut d’être très loquace, Costello (ou plutôt Delon) fait passer les émotions par des regards, des attitudes, des petits gestes, qui font la différence. En effet, le personnage semble faire preuve d’une telle neutralité que chaque petite variation, chaque petit geste provoque une sorte de petit bouleversement qui nous fait prendre conscience que quelque chose de particulier est en train d’arriver. C’est aussi, surtout, la preuve d’une grande maîtrise, évitant au film toute forme d’exagération susceptible de le dénaturer, d’être authentique dans sa sobriété et sa franchise. On retrouvera, ce genre de schéma dans le récent Drive de Nicolas Winding Refn, par exemple.


Mais les similitudes ne sont pas que formelles, elles sont aussi thématiques. En effet, Le Samouraï oppose un homme carré, droit et fiable à un système qui le dépasse et qui n’hésite pas à user des coups bas pour en profiter. C’est une composante assez récurrente dans les films de gangsters, que l’on retrouvait outre-atlantique chez Raoul Walsh dans Les Fantastiques Années 20 par exemple, dans le Drive de Refn, donc, mais aussi déjà chez Melville dans Le deuxième souffle où le truand « à l’ancienne », porté par des valeurs, se retrouvait aux prises avec des truands beaucoup moins scrupuleux. La prestance de Costello n’est donc pas due qu’au charisme naturel d’Alain Delon, mais aussi à la dignité dont il fait preuve, à sa capacité à être un héros, même s’il fait partie d’un monde de pourris. Et, pourtant, il reste un personnage fragile, comme le symbole de la fragilité de l’individu vis-à-vis de la société. Il est l’image d’un monde où l’individu, malgré sa volonté d’exercer son libre arbitre, se retrouve soumis malgré lui aux règles de la société, et qu’il se mue en un rouage, en un outil. « On m’a payé pour ça », dira-t-il.


Avec Le Samouraï, Melville montre ce qu’est du grand cinéma. A la maîtrise formelle, qu’il s’agisse de la mise en scène, du montage et de l’esthétique, répond une écriture des personnages et du récit extrêmement précise qui en font un film au moins presque parfait. Au-delà d’être un très grand polar, capable de hisser le genre à un très haut niveau, utilisant ses composantes habituelles en les élevant, c’est aussi un moment de poésie, de tristesse et de chagrin qui ne laisse pas insensible. Tout est terne mais pourtant d’une grande et cruelle beauté. Le personnage de Costello est loin d’être mécanique, il n’est pas qu’une figure archétypale, il est bien montré comme un homme avec ses faiblesses, ses peurs et ses sentiments, habité par un Delon qui, rien qu’avec un petit geste ou un petit regard, véhicule un sentiment de solitude et de mélancolie absolument bouleversants et touchants. N’oublions pas, bien sûr, la très belle bande-originale de François de Roubaix, mémorable, permettant d’accompagner cet homme solitaire sans jamais être envahissante. Une grande oeuvre qui me marquera durablement, et que je reverrai, sans aucun doute, avec grand plaisir.


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le 9 août 2019

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