Ce que j’aime le plus au cinéma, c’est de vivre une expérience non pas unique, mais différente de ce que propose le circuit habituel. Un film dont personne n’a parlé ou presque au préalable et qui malheureusement subira le même sort une fois de l’affiche retiré. En vrac me reviennent à l’esprit « La trace » de Bernard Favre, « Champs d’honneur » de Jean-Pierre Denis, « La France » de Serge Bozon, ou plus récemment « Jeunesse » de Julien Samani. Des « petits » films certes mais vivifiants par leur simplicité et leur efficacité.


« Le semeur » est à l’origine un texte assez abscons de Violette Ailhaud. La jeune réalisatrice Marine Francen (c’est son premier film) se l’est approprié pour construire un récit plus complexe et chargé de réflexions.


Fin 1851, Louis Napoléon Bonaparte, futur Napoelon III, provoque un coup d’état et veut faire table rase sur l’opposition composée des républicains. La chasse aux « renégats » est cruelle, au mieux ils sont emprisonnés au pire déportés au bagne. C’est ce qui se produit dans cette petite bourgade des Cévennes retirée de tout et de tous, où l’armée embarque tous les hommes, partisans de la 1ère heure. L’épouvante fait peu à peu place à l’angoisse, et s’ils ne revenaient pas ? Les jours, les semaines et les mois passent, les femmes reprennent les travaux des champs à la place des pères, des fils… L’attente est longue et pénible. Jusqu’au jour où, un homme inconnu de toutes, demande l’hospitalité. L’effervescence s’installe alors dans les esprits. S’il reste, est-ce qu’il va en contenter d’une seule, ou toutes les femmes du hameau ?


De ce constat de départ, Marine Francen va mener une réflexion comportementale ou chacune d’elles représente un type de caractère, ou une réaction face à une telle situation. Il y a la cheftaine du groupe, veillant à préserver leur autonomie si chèrement gagnée sur les derniers mois, celle qui souhaite retrouver le contact d’un homme, l’amoureuse éconduite, celle qui se cherche un mari, un géniteur … De toutes ces intentions discordantes, sourde une tension palpable prompte à rompre l’équilibre de la communauté.


Le sujet particulièrement compliqué à mettre en forme, pouvait sombrer dans le graveleux, voire le glauque. Mais la subtilité du script contourne l’écueil adroitement. Certes ces femmes sont pleines de désir, mais elles sont conscientes de la précarité de la situation. Soit les hommes reviennent toute ou partie, soit il faudra composer avec leur absence mais sous une autre forme. L’instinct sexuel se trouvant réprimé par la raison.


Le film palpite de bout en bout grâce de cette fièvre générale, et pose constamment la question sur le rôle et la condition de la femme. Affranchie, elle se doit d’avancer, mais ne peut refreiner le désir, l’envie de partager, de procréer ce qui est le sens même de la vie. Dans cet état de faits, le film préfigure sur la femme libérée et des combats qui seront à mener et devient presque intemporel. Ces villageoises sont des pionnières et leur grande sagesse est remarquable.


Sublimement mis en lumière par Alain Duplantier (ce serait une grave injustice s’il n’est pas nommé aux Césars), « Le semeur » est non seulement d’une belle intelligence de fond, mais une réussite totale au niveau de la plastique. Tout nous laisse à croire que nous sommes effectivement en cette moitié du 19ème siècle mais sans figer le propos, beaucoup plus contemporain.


C’est un vrai bain de fraicheur intellectuelle et d’esthétisme que nous offre Marine Francen, qui de plus, a su s’entourer des comédiens formidables, la jeune Pauline Burlet qui fait penser à Emmanuelle Béart, mais en plus naturelle, Géraldine Pailhas et Alban Lenoir (ecce homo) excellents et Françoise Lebrun formidable comme toujours, bien que trop rare.


« Le semeur » est un beau film à découvrir autant qu’à apprécier !

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le 29 nov. 2017

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Fritz Langueur

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