Trois femmes ordinaires
C'est l’histoire de trois femmes ordinaires, qui ne se connaissaient pas et qui ont assassiné le gérant d’une boutique de prêt-à-porter. Un geste inexplicable et sauvage qu'une psychiatre tente de...
le 19 juin 2025
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Cette Christine M. désignée par le titre est coupable de meurtre sur la personne d’un homme qui tenait la Boutique 22 à Amsterdam. Ce Van Houten ne vendait pas du cacao mais des vêtements féminins. Il a été tué par trois femmes qui reconnaissent leur forfait sans la moindre hésitation. Très bizarre, elles ne se connaissaient pas avant le meurtre. Franchement bizarre également, elles ne voient pas l’intérêt de revenir sur ce meurtre. De plus, depuis son arrestation, Christine M. (Edda Barends) reste mutique, alors qu’Annie (Nelly Frijda) et Andrea (Henriëtte Tol) se montrent plutôt expansives. Surtout, Christine se montre renfermée et presque craintive alors que les deux autres se montrent décomplexées. Une petite faiblesse du film fait qu’on ne sait pas du tout comment la police les a identifiées, même si on voit les arrestations. Ensuite, ce n’est pas à des interrogatoires policiers qu’on assiste, mais à des entretiens avec la psychiatre Janine van den Bos (Cox Habbema) qui a la charge d’évaluer leur santé mentale. Le but évidemment est de déterminer si par hasard elles n’auraient pas agi sur un coup de folie. Auquel cas, elles risqueraient l’internement plutôt qu’un passage devant le tribunal.
Clairement, il s’agit d’un film hyper féministe qui ose quelque chose d’insensé. En effet, si la narration entretient longtemps le suspense, les scènes dans la boutique finissent par nous montrer ce qui s’est passé. Quoi qu’on puisse penser, le meurtre est une réaction franchement disproportionnée par rapport à ce qui s’est passé avant, à tel point qu’on pourrait le qualifier de gratuit. On pourrait même dire qu’à la base, c’est Christine M. qui s’est rendue coupable d’un forfait auquel Van Houten n’a fait que réagir, avec autorité mais sans violence, profitant juste de sa forte stature pour rétablir ce qu’il estimait être son bon droit en tant que commerçant. Maintenant, le film nous incite fortement à considérer les choses sous un autre angle. Car enfin, ces trois femmes ont agi de façon délibérée (après avoir pris le temps de s’approcher tranquillement) et se sont acharnées sur Van Houten.
Il faut donc considérer que ces femmes ont agi selon leur ressenti général. Ce que la réalisatrice cherche à faire comprendre, c’est que tout ce qu’elles ont vécu en tant que femmes les a mises dans une situation psychologique telle que, lorsque Van Houten se manifeste, il ne leur faut que quelques instants pour décider ce qu’elles vont faire.
On note qu’elles n’échangent aucune parole mais des regards. On note aussi que, contrairement à ce qui est avancé dans le dialogue du film, le meurtre ne se fait pas sans témoin, puisque d’autres femmes sont présentes dans la boutique. Parmi elles, certaines quittent la boutique dès le début du tabassage, d’autres en même temps que les trois meurtrières. A noter que les autres femmes présentes (donc témoins potentiels) assistent au procès. Et elles ont la même réaction que les meurtrières lorsqu’elles se font évacuer de la salle. Le film fait donc sentir que ce ne sont pas seulement trois femmes qui expriment leur ras-le-bol par ce meurtre sauvage.
Bien entendu, le film s’attache à faire sentir pourquoi ces trois femmes en particulier ont tué cet homme, tout en sachant pertinemment ce qui les attend ensuite. Ce qui explique évidemment leur nonchalance à partir de leur arrestation. Il est intéressant d’observer que ces trois femmes viennent de milieux différents. Christine M. est mère au foyer, Annie tient un café où on la voit tenir tête à un client macho qui enchaine les réflexions. Elle affiche ouvertement son soulagement depuis son divorce. Globalement, c’est ce qu’on appelle une grande gueule. Andrea est jeune, dynamique, séduisante et très appréciée de son patron. Elle travaille comme secrétaire, mais n’a aucune perspective d’évolution. A la psychiatre, elle raconte un épisode typique de ses rapports avec les hommes, dans la rue. Citée comme experte au procès, la psychiatre sera elle-même mise sur la sellette…
Ce qui ressort de ce film, c’est que la réalisatrice veut nous faire comprendre que selon son point de vue (féminin), la condition féminine reste très compliquée et peut être considérée comme insupportable. Visiblement, c’est quelque chose qui va du frontal insupportable à l’insidieux. Et ce n’est pas parce que le film date de 1982 et qu’il se situe à Amsterdam qu’il faudrait ne pas se sentir concerné en tant que spectateur français de 2025. Ces femmes décident sur un coup de tête de ne pas laisser passer quelque chose qui, à première vue, ne dépasse pas l’anecdotique. Alors, que peuvent-elles donc reprocher à ce Van Houten pour s’acharner à ce point sur lui ? Mon avis est que sa première erreur est d’être un homme. La deuxième est de tenir (seul) une boutique de vêtements pour femmes. La troisième est de chercher à jouer sur sa stature pour se faire justice. Ensuite, c’est juste une question de circonstances. Mais le message est clair, les femmes n’en peuvent plus de ce monde froid, peu attractif, où leurs perspectives sont figées par des hommes qui ne comprennent pas leur désespoir. Alors, elles commettent un acte désespéré et se moquent ouvertement des conséquences qu’il entrainera pour elles. Et si les autres femmes qui ont assisté au drame ne disent rien non plus, elles n’en pensent pas moins et soutiennent leurs camarades emprisonnées en accentuant leur réaction finale.
Très provocateur et intelligemment construit, De stilte rond Christine M. (titre original) incite à la réflexion. Et ce n’est pas parce que ce n’est que du cinéma qu’il faudrait en relativiser la portée. Sa scénariste-réalisatrice, la Néerlandaise Marleen Gorris nous dit que la situation des femmes est intenable, à tel point que cela peut exploser. Et même si on peut se réjouir de certaines avancées, on enregistre encore des féminicides, des viols, des comportements machistes, des inégalités salariales, etc. Stop donc au silence autour de ce film, puisqu’il est actuellement visible en salles, ce qui ne fut jamais le cas en France depuis sa sortie aux Pays-Bas en 1982.
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le 7 sept. 2025
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