Avec Le Silence de Lorna, Les Dardenne filment une femme au bord de l’inexistence morale, une héroïne de la fatigue.

Lorna, c’est une silhouette. Elle passe, elle calcule, elle attend. Mais quelque chose en elle se tord, doucement. Comme si la trahison qu’elle prépare (laisser mourir son mari de papier pour obtenir la nationalité belge) finissait par ronger la structure même de son corps. Mais ici, les Dardenne ne montrent pas la culpabilité comme remords ou effondrement.

Le plus grand geste du film, son pari éthique le plus radical, c’est de ne pas montrer la mort. La disparition de Claudy, ce junkie doux comme un chien battu, est laissée hors champ. Non par pudeur, mais pour mieux déplacer le poids du drame : ce n’est pas la mort qui compte, c’est ce qu’elle fait au survivant, et comment cette mort non vue, non dite, va creuser un vide en Lorna.

Et alors, il se passe quelque chose d’étrange, presque dérangeant : Lorna se met à croire qu’elle est enceinte. Elle s’invente un enfant. Elle parle à son ventre vide. Ce n’est ni un délire pathologique ni un simple symbole : c’est un acte de résistance intérieure.

Ce qu’on ressent alors, ce n’est pas de l’émotion au sens classique, mais une gêne, un malaise, une sorte d’élasticité morale. On ne sait plus très bien où se tient le film : dans le réel social ou dans une hallucination pudique ? On ne sait plus ce que Lorna cherche à sauver ; elle-même, son passé, une idée d’elle-même peut-être.

Peut-être est-ce pour cela que le film peut décevoir : parce qu’il ne cherche jamais à convaincre. Il ne prend pas parti, ne distribue pas de rôle clair. C’est un film sans centre, sans message.

cadreum
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le 11 mai 2025

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