Avec LE SILENCE DES AUTRES, les réalisateurs Almudena Carracedo et Robert Bahar, coproducteurs avec un certain Pedro Almodóvar, reviennent sur une période sombre de l’histoire de l’Espagne, qui n’a pas soldé tous ses comptes à la mort de Franco.


LE SILENCE DES AUTRES revient sur cette fameuse Loi d’Amnistie générale votée en 1977 par les parlementaires espagnols après la mort de Franco. Elle garantissait de fait l’impunité aux tortionnaires du régime. Mais elle privait aussi les milliers de descendants de pouvoir dignement faire le deuil de leurs parents torturés, dont les corps avaient été jetés dans les fosses communes.


Le documentaire montre brillamment à quel point ce “Pacte de l’oubli” eut de graves conséquences judiciaires et émotionnelles. Privant aussi les personnes torturées de demander justice, et non vengeance. Et les obligeant à croiser dans la rue leurs bourreaux impunis et toujours autant arrogants et méprisants.


Cette plaie béante impossible à refermer est une véritable honte dans l’histoire de la démocratie de l’Espagne, d’autant qu’il en était fait l’impasse jusque dans les manuels scolaires. Le film donne d’ailleurs à voir de jeunes générations n’ayant jamais entendu parler de ces faits. Les anciens premiers ministres au pouvoir Aznar et Rajoy ont eux-mêmes refusé de l’évoquer, arguant du fait qu’on ne construit pas le futur en revenant sans cesse sur le passé.


On a bien du mal à comprendre les raisons de ces chefs de gouvernement successifs à refuser de se pencher sur cette période. Comment ont-ils pu en effet croire qu’un futur stable pourrait être construit sans cette indispensable plongée dans les plaies du passé ?


Car qui peut s’arroger le droit de décréter le pardon des victimes sans que justice leur soit rendue ? Peut-on effacer d’un coup de baguette magique des années de souffrance et de tortures ? On sait bien aujourd’hui que priver de parole les victimes et de reconnaissance de leurs souffrances n’est pas une solution viable. Car il est psychiquement prouvé que les traumatismes doivent être affrontés, afin que la réconciliation, et peut-être l’oubli et le pardon puissent avoir lieu.


LE SILENCE DES AUTRES remet d’ailleurs très bien en perspective la façon dont les États comme l’Argentine, l‘Uruguay, le Rwanda ou le Cambodge, s’y sont pris pour essayer de faire table rase du passé.



Tel un thriller haletant, LE SILENCE DES AUTRES met très bien en
exergue les déceptions, les rebondissements, les espoirs et les
décisions de justice pour retrouver les corps des disparus.



Les réalisateurs Almudena Carracedo et Robert Bahar se sont donc attachés à suivre entre 2010 et 2016 plusieurs personnes touchées personnellement par la dictature, dont les images d’archives permettent de bien resituer le contexte. Il est même assez troublant de se rappeler que la dictature en Espagne, si proche de la France, dura quarante ans. Face caméra, Maria, José et les autres racontent le combat de toute une vie: la leur ou celles de leurs parents disparus, sans tombes sur lesquelles se recueillir.


Les deux réalisateurs parviennent de façon remarquable à nous attacher à chacune de ces victimes. On suit les démarches entreprises par les avocats des parties civiles pour faire reconnaître en vain par la justice espagnole les crimes des tortionnaires. Puis leur idée de la délocalisation de leurs plaintes en Argentine, tout comme le juge Balthazar Garçon l’avait fait avec Pinochet à Londres.


Tel un thriller haletant, LE SILENCE DES AUTRES met en exergue les déceptions, les rebondissements, les espoirs, les décisions de justice pour retrouver les corps des disparus et faire matcher l’ADN des victimes avec leurs survivants. Mais aussi le rôle et l’humanité de la juge Servini en Argentine dans ce procès qui prit de l’envergure avec ces plus de 300 plaignants.


Ce combat croise aussi le combat des femmes dont les bébés ont été volés en Espagne. Et la parole de toutes ces personnes en souffrance est terriblement émouvante. Mais le documentaire fait heureusement la part belle à l’enthousiasme dont font preuve les protagonistes, à l’amour qu’ils se donnent les uns aux autres. Cet amour transcende leur combat et leur devoir de mémoire dans le but de faire reconnaître leur humanité et surtout, d’éviter que le pire se reproduise. Il était temps que ce silence-ci fasse grand bruit et que la vérité soit enfin révélée.


Sylvie-Noëlle


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le 14 févr. 2019

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