Je ne connais pas forcément très bien le travail de Louis Malle (mieux que Durendal quand même mais c'est pas difficile) mais, en regardant le Souffle au coeur, je me dis que le type n'est pas ami de la subtilité. Ce que nous fait redouter le début du film, la suite le confirme : cette espèce de description unilatérale et clichée de la famille bourgeoise, de laquelle Malle ne se départ jamais. C'est un peu le souci de l'oeuvre : elle rassemble à peu près tous les lieux communs possibles sur la bourgeoisie à travers des séquences très lourdes de sous-entendus et de connotations sociales. Mais en même temps, ce regard très étriqué participe aussi au charme désuet du film, résolument générationnel. Et on ne peut pourtant que regretter les gros sabots de Malle tant son film aurait pu être grand et tant il épouse les courbes de son sujet.

Parce que c'est clairement un film sur l'ennui bourgeois, comme peut l'être Théorème ou, dans un registre autre, Secrets d'adolescentes avec Brigitte Lahaie. La reconstitution de Louis Malle est particulièrement appliquée, mais souvent trop scolaire. C'est un travers qu'il partage avec Tavernier sur ses films en costume : celle de filmer dans chaque personnage une icône de son époque. Ce côté inventaire rebute franchement, flirte parfois avec le grotesque surtout sur la fin.

C'est regrettable parce que Malle a un potentiel dingue entre les mains, qu'il sait écrire des personnages, qu'il sait mettre en scène une émotion de manière aussi pudique que touchante, qu'il sait aussi maintenir une tension sexuelle rare qui n'explosera qu'à la fin du film. On comprend pourquoi le film a fait scandale à l'époque, pas tant parce qu'il aborde le sujet tabou de l'inceste entre une mère et son fils mais parce qu'il l'aborde sans jugement, sans provocation, comme une résultante logique du quotidien bourgeois. Malle parle de l'inceste comme on parlerait d'amour, c'est-à-dire avec une certaine pudeur et une certaine tendresse, sans jamais appuyer la grivoiserie et le tabou.

Nul doute qu'un cinéaste pompeux comme Lars Von Trier, avec un sujet pareil, en aurait fait des caisses dans le salace et la provocation. Et bien non, en 1971, Malle reste léger, comme si tout cela était finalement sans conséquence.

Cette démarche individualiste, ce refus de jouer la carte facile de la provocation évoque quelque peu le Beau-père de Bertrand Blier qui sortira dix ans plus tard.

C'est quoi finalement le Souffle au coeur ? Juste un film sur l'éducation sentimentale et sexuelle d'un enfant bourgeois, qui manque sûrement de nuance, mais certainement pas d'intégrité et de tendresse.
Nwazayte
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le 15 juil. 2014

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Nwazayte

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