Certains artistes ont le privilège de faire leurs adieux à la scène, ce fut le cas de Jean Cocteau grâce au Testament d’Orphée. Dix ans après son adaptation modernisée du mythe grec, Cocteau prend conscience qu’il y a encore une matière inexplorée qui demeure dans l’œuvre. Désireux de clôturer sa carrière cinématographique, il n’exprime plus son histoire à travers un autre personnage mais se met directement en scène : il façonne ainsi l’héritage le plus direct possible, « le legs d’un poète aux jeunesses successives qui l’ont toujours soutenu » comme il le dit lui-même.

Jean Cocteau décrit l’errance d’un poète perdu dans le temps et dans l’espace. Bien entendu profondément auto-rétrospectif, son film se détache encore plus de la narration classique, marquant à nouveau un retour aux sources du Sang d’un Poète. Cela dit, Cocteau ne fait pas son film d’une manière profondément égoïste, il le fait avant tout pour ce qu’il peut transmettre à son spectateur. L’introduction par la voix-off place les enjeux de l’héritage et de la volonté du métrage. Le point de vue, évidemment celui de son auteur, offre, à l’instar d’Orphée, un didactisme pour le spectateur qui se fait tout en douceur, tout en poésie. Le poète, justement, se fait guide de la grande galerie d’art qu’est sa vie. A nouveau, loin d’être un déballage profondément égocentrique de l’œuvre exemplaire de son auteur, Le Testament d’Orphée nous murmure simplement quelque chose comme « j’ai créé cela, c’est pour vous, je vous en fais don ».

Non sans humour, cette promenade se fait avant tout avec un regard fasciné. On y découvre les tréfonds de Jean Cocteau, ce « strip-tease de l’âme » comme il l’évoque. Il y a fort à parier que l’image qu’on retienne parmi toutes celles du film soit celle du réalisateur assemblant, de ses mains, une fleur qu’il avait lui-même préalablement détruite. Une fois de plus, on comprend toute cette imagerie du poète que Cocteau nous explique, cette recherche de la destruction et de la mort afin d’y trouver un salut dans la création. Néanmoins peut-être par la présence de Cocteau, ses obsessions prennent une tournure moins dramatique qu’à l’accoutumée, on saisit d’autant plus leur sens et leur beauté.

Dans son voyage surréaliste, Jean Cocteau s’accompagne de ses amis. Outre François Perier ou Maria Casarès qu’on retrouvait déjà dans Orphée, le réalisateur invite Charles Aznavour, Pablo Picasso, Brigitte Bardot ou encore le mystique (et mythique) Yul Brynner… Il y a dans chacun de ces portraits d’artiste un pan de la personnalité de Cocteau, une aide ou une fascination qui a participé à sa construction en tant qu’artiste. Ce lien, profondément fort, se ressent dans ces petits rôles distribués, « non pas parce qu’ils sont célèbres », s’exclame Jean Cocteau, à la fin du film « mais parce qu’ils répondent à l’emploi des rôles qu’ils interprètent, et parce qu’ils sont mes amis ». C’est sans aucun doute la plus belle chose qu’on puisse dire à propos d’une collaboration artistique. Evidemment, le clou du spectacle est cette petite apparition de Jean Marais en Œdipe, concluant un lien professionnel et intime profondément important entre le comédien et le réalisateur.

Si Le Testament d’Orphée sonne à première vue tel un chant du cygne funeste (Cocteau décède par ailleurs trois ans plus tard), il est dans son fond une incroyable invitation à considérer toujours plus encore l’art et le cinématographe comme achèvements humains ultimes. Faire le même rêve tous ensemble, c’était la convoitise de Jean Cocteau. A plus d’une reprise, il y est bien entendu parvenu. Les ultimes paroles du poète ne manquent pas d’émouvoir tant l’adieu transpire la sincérité entre lui et son public. Car si faire une œuvre d’adieu est un privilège, en bénéficier en tant que spectateur l’est tout autant. Force est de croire que les fameuses jeunesses successives qu’il évoquait n’ont pas fini de le soutenir !

Cet article conclut notre rétrospective Jean Cocteau. Loin d’être exhaustive à propos de sa carrière, cette rétro est davantage une invitation à se pencher sur le cinéaste, plus généralement sur l’homme, dont l’œuvre, détachée de toute temporalité, ne manque pas de continuer à nous toucher.

La critique sur Cineheroes : http://www.cineheroes.net/retro-jean-cocteau-le-testament-dorphee-1960

Les autres articles de la rétro Cocteau : http://www.cineheroes.net/category/retro

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le 5 déc. 2013

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Lt Schaffer

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