Porter sur grand écran la période propre à l'enfance, avec force et justesse, sans l'enjoliver par le regard attendri et complaisant de l'adulte est une démarche aussi rare que précieuse. L'un des exemples les plus parlants en la matière demeure le récent I Wish, avec lequel Kore-Eda parvenait à rendre "extraordinaire" la réalité perçue par ses personnages en culottes courtes. Yoichi Higashi, quant à lui, prend un chemin tout autre et, en cela, limite la portée de son récit : le monde de l'enfance est immédiatement assimilé à ce village niché aux creux de nos rêves, bercé d'une tendre insouciance et perdu au cœur d'un Éden terrestre. Tout cela est bien gentil et présenterait que peu d’intérêt au final si notre homme ne s'inscrivait pas pleinement dans l'univers du conte, portant ainsi un regard parfois amer sur cette société qui nous entoure.


La première des originalités du film est de nous présenter les souvenirs communs de vrais jumeaux, Seizo et Yukihiko, illustrateurs de livres pour enfants. La gémellité étant rarement utilisée dans ce type de production, on pouvait s'attendre à ce qu'elle soit au cœur de l'intrigue, jouant un rôle moteur dans le développement des rêves. Malheureusement celle-ci demeure fonctionnelle et n'a que peu d'incidence sur le reste du récit. Faute d'être novateur, Higashi s'inspire plutôt bien des classiques du cinéma de l'enfance et rejoue Les Quatre Cents Coups en mode bucolique : farces, espiègleries et insolence rieuse, viennent gentiment colorer une existence insouciante et rêveuse. Les deux mioches se transforment en adorables petits monstres, multipliant les bêtises et provoquant immanquablement l'ire du voisinage. Si tout cela reste gentiment plaisant, Le Village de mes rêves gagne véritablement notre intérêt en imprimant sur la pellicule cet état d'esprit que nous assimilons avec nostalgie aux premières années de notre existence. La vision qui en ressort est à la fois tendre et mélancolique, colorée et contrastée. Un peu comme dans un Miyazaki...


Dès les premières minutes, nous comprenons bien que les souvenirs de nos frangins ne seront en rien "réalistes" : l'histoire se déroule aux abords de la guerre et pourtant celle-ci n'est jamais perceptible à l'écran. Tout le talent de Yôichi Higashi réside dans sa façon de se réapproprier l'univers du conte, afin d'en extraire sa poésie et sa fantaisie. L'enfance, c'est l'âge de l'émerveillement et des découvertes. Mais c'est également l'âge de la pensée magique et des croyances au merveilleux. Ainsi, le village mentionné dans le titre apparaît irréel, hors du temps, et son environnement proche ne peut être qu'idyllique : la lumière est douce et reposante, la nature accueillante et les cours d'eau sont toujours rafraîchissants. Assez habilement Higashi laisse poindre le fantastique par petite touche, comme pour réveiller notre âme d'enfant : trois vieilles sorcières, qui pourraient sortir d'une pièce de Shakespeare, y vont de leur petit commentaire ; les génies de la nature sont convoqués, avec notamment ces poissons qui se moquent de ces pêcheurs en herbe... L'univers onirique est progressivement perceptible et donne à cette péloche un charme certain, suffisamment en tout cas pour que l'on sorte de la séance avec la satisfaction d'avoir passé un joli moment de cinoche. Malgré tout, Higashi ne donne pas l'impression d'exploiter pleinement le potentiel de son histoire et, parfois, le manque d'inventivité de sa mise en scène se fait cruellement sentir.


Mais au fond, le plus intéressant dans Le Village de mes rêves n'est peut-être pas tant l'univers onirique à proprement parler que la réflexion sociale qui s'y niche. Car si le ton du film est volontairement léger, il n'est pas rare qu'au détour d'une scène la triste réalité n'apparaisse au grand jour : c'est un village qui se laisse gagner au commérage lorsqu'une mère débarque seule avec ses enfants ; c'est un instituteur qui confond violence et méthode pédagogique ; ce sont les enfants les plus défavorisés qui se retrouvent exclus ou qui servent de boucs émissaires... L'art du conte est en ce sens bien respecté, fait de rêverie et de poésie, mais sans occulter une réalité sociale discriminante. C'est également ça l'enfance, la découverte de l'injustice et la perte des illusions.


Créée

le 6 févr. 2023

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Procol Harum

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